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Il y a 100 ans : La jacquerie viticole

samedi 21 août 2004, par Vareilhes Alain

« Pauvre bougre » ! Qui, de nos jours n’a pas entendu cette expression à la vue d’un homme accablé de malheur. Or au tout début du siècle, « les bougres » étaient tout simplement les révoltés du monde viticole, qui voyaient leur existence propre menacée par la famine, la misère noire.

En 1865, un parasite indécelable, un insecte invisible appelé phylloxéra s’attaque aux ceps de vigne. C’est la ruine pour de nombreux viticulteurs jusqu’à ce que Jules Manchon, un scientifique, trouve une parade efficace contre le mal et éradique ce puceron dévastateur de nos vignes.
En 1900, l’arrivée sur le marché de plants américains, plus résistants, permet la restructuration du milieu viticole. Le territoire du bas Languedoc se couvre de vignoble. La production est prolifique, trop assurément et en 1902, le département de l’Aude, réalise une production avoisinant les 5.000.000 hectolitres.
Dans l’Hérault également, c’est Byzance. Mais voilà, produire, c’est bien, sur-produire est tout aussi néfaste que sous-produire. De nos jours encore, les milieux agricoles divers connaissent ce paradoxe.

L’essor de la vigne après la mise à mort du phylloxéra, avait drainé dans le bas Languedoc toute une po-pulation d’ouvriers, descendus des hauts départements que sont la Lozère, l’Aveyron, l’Ardèche. Ces hommes nantis de leurs seuls outils de travail, leurs bras, étaient surnommés « gavatz » ou plus prosaïquement « gabachs ». Cette appellation fleurit encore de nos jours dans le propos pour désigner l’homme descendu de la montagne.

La surproduction entraîne la mévente. Entre 1870 et 1880, tandis que le phylloxéra ronge les souches, l’hectolitre de vin se négocie 25 francs. Il en valait 32 en 1860. En 1900, l’hectolitre se vend entre 6 et 9 francs exceptionnellement. En 1907, il ne coûte que 5 francs, une misère. Le midi viticole se met à osciller sous le grondement de mécontentement des vignerons. Dans l’Hérault, il ne reste plus un recoin qui ne soit planté de vignes. On enregistre 190.000 hectares dans les chambres consulaires de Montpellier. Le vin produit n’est pas de qualité supérieure, ce n’est certes pas uniquement de la « piquette » mais il est loin, bien loin d’égaler le breuvage actuel. Maintenant, quant à savoir lequel des deux, l’ancien ou le moderne est le moins nocif pour l’estomac, à vous de juger.
Le midi est donc en pleine effervescence et se transforme. La vie des hommes est tributaire des bons ou mauvais résultats de l’économie régionale dont le vin est le principal acteur.

Jusqu’alors, l’Hérault et les départements voisins, pratiquaient la polyculture. L’habitat évoluait et

s’adaptait aux productions. Les greniers ou « paillers » dans lesquels les paysans accumulaient fourrage, paille, et graminées diverses n’ont plus leur raison d’être et se vident. Dès lors, ce sont les caves aux portails immenses et pesants qui font leur apparition dans les bâtisses souvent cossues.

Chaque propriétaire vigneron possède sa cave dans laquelle se construisent des cuves géométriques ferraillées à outrance et bétonnées, tels de véritables blockhaus. Souvent également, les cuves vont de pair avec d’immenses foudres dans lesquels d’ailleurs bon nombre d’imprudents laissèrent leur vie, asphyxiés par les vapeurs indétectables d’anhydride de carbone, gaz toxique dû à la fermentation du jus de raisin.

C’est l’époque où les vendanges ne sont pas réalisées par de grandes machines tentaculaires (faisant penser à d’énormes araignées) mais par des « colles », groupes de vendangeurs qui menaient leur rang avec célérité. Période de travail intense, certes, mais de laquelle n’est pas exclu l’esprit festif, le soir, après la journée où tout ce monde se retrouvait sur la place publique pour se divertir. Sous « la platane », alors, souvent on entendait « cascailler » tout ce monde, tel un essaim d’abeilles. Dieu, qu’il est loin ce temps béni !

Nous l’avons écrit plus haut, le sol Méditerranéen n’est plus qu’une seule vigne. Non, car chaque vigne est différente et ne ressemble nullement à sa voisine. Elles sont là, étalées, de forme, de dimension, de couleur différente. Chaque vigne, à l’instar de la république française est « une et indivisible ». Les « proprios » en parlent comme de leur chérie, comme ils le feraient pour des êtres humains. Ils leur accordent un label, une qualité, un caractère. Ils n’hésitent pas à l’insulter si elle produit peu, à l’encenser, si elle est prolifique. Elles ont toutes un patronyme : « la blanca » « lous traversiers » « la longa » « la rompuda » etc. Les « proprios » aiment viscéralement leurs vignes et quand la nature malveillante, par le biais de la grêle, des maladies, de la sécheresse les rendent improductives, ils en « crèvent » de chagrin et cela se ressent sur les caractères humains.
Leur vigne, pour eux, c’est comme une femme, une maîtresse, elle vous fracasse le corps mais on ne l’en aime que davantage. Quant au vin, le fruit de ses entrailles, il est divin, un peu comme l’hydromel ; n’est-il pas le breuvage préféré de Bacchus et le fortifiant de cet

impénitent navigateur qu’était Noé ? En ces temps là, dire que le vin était mauvais, que c’était de la vulgaire piquette était une insulte à son producteur. C’est blasphémer, méconnaître, médire. Allez faire dire à un « proprio » qu’il a fait de la piquette, même si son vin ne pèse que 8 degré ; il lui trouvera toujours une excuse pour le rehausser, le réhabiliter. Quand on aime, il en est toujours ainsi.

Dans les années de fin et de début du siècle, notamment 1893, 1899, 1900, 1904, 1905, la production prolifique a généré la mévente. Les années de diète s’accumulant, l’impact sur les économies locales et régionales s’est vite fait ressentir.
Ces fluctuations économiques exaspèrent les vignerons qui commencent à s’organiser et créent un syndicat dont le nombre d’adhérent ne cesse de croître. Ils tiennent leur premier symposium à Béziers en 1903. Les ouvriers multiplient les grèves, délaissant la glaise des vignes pour les rues empierrées des villes dans lesquelles ils se répandront en longues files, arborant déjà d’énormes banderoles revendicatrices. Très vite, ces grèves, au début pacifiques, deviennent insurrectionnelles.

Le printemps 1907, s’il n’a pas l’importance de celui de 1958 à Prague, n’en demeure pas moins historique, tragique, bizarre. Cela commence à Argeliers dans l’Aude, ils sont une centaine à manifester, puis 120 000 à Narbonne. A Carcassonne en mai, ils sont 300 000 à défiler sous les murs de la vieille cité.
Et puis le 9 juin 1907, ils sont un million de viticulteurs à Montpellier. Ils sont un million, ces « forçats » de la vigne, ces démunis, ces révoltés, ces gueux, ces pauvres « bougres », qui, sous les diatribes de Marcellin Albert, affectueusement surnommé le « boulégaire », scandent leurs slogans dans un patois imagé, mais ô combien châtié.
La France entière est à l’écoute et s’étonne. La télévision n’a pas encore droit de cité mais le téléphone arabe fonctionne. A Paris, les gouvernements ne prennent pas trop au sérieux cette jacquerie de « culs terreux », ils ont tort de se préoccuper si peu du mouvement qui brusquement s’amplifie, s’accélère pour ne plus être bientôt maîtrisé. Quelque part, comme pour la révolte des camisards, plus de deux siècles auparavant, Paris estime ce problème insignifiant.

Cette révolte, comme toute révolution a ses partisans et ses détracteurs extérieurs. Ici à droite, ce sont les « royalistes », un peu « cagoulards » qui badent cette mini révolution qui ébrèche cette république abhorrée. A gauche, on s’émeut car c’est la révolte des « ventres creux », du misérabilisme.
Tous ces « pauvres bougres », il y a un siècle, ne faisaient rien d’autre que perpétuer 1789 et anticiper 1968, même si au fond, les revendications n’étaient pas de même nature. Au printemps 1907, le midi viticole s’enferme dans ses remparts psychologiques, sûr du bien fondé de son élan revendicatif ; de son droit à manger.
Pour toute réponse, Armand Fallières, Président de la République Française, fait donner la troupe pour mater les belligé-rants (les C.R.S. n’existaient pas encore, ces troupes du maintien de l’ordre sont une émanation de Jules Moch en 1948). Le 20 juin 1907, les soldats du 17e R.I. se mutinent et refusent de tirer sur les français à Agde. Hélas, à Narbonne les officiers du 139e R.I. moins enclin à la tolérance, adeptes de l’exécution de l’ordre idiot, font appuyer sur les gâchettes des Lebel.

Le résultat est sanglant : cinq morts, cinq français qui ne demandaient qu’une chose : pouvoir manger à leur faim ; et des dizaines de blessés graves, pour bon nombre d’entre eux. La symbolique était bien évidente ce jour là : le vin et le sang versé avait la même couleur.

Plus tard, le « tigre » Clemenceau, remettait la viticulture à flot.

P.-S.

Article de presse écrit par Alain VAREILHES - La Garrigue entre la Séranne et le Pic Saint Loup n°99 - Décembre 1999

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