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dimanche 30 septembre 2012, par
Tu sais, Raymond, à la fin de la guerre ton père a dû une fière chandelle à son gazogène, me déclare Pierre JOUVE, un ami d’enfance, lors de notre dernière rencontre à Prades le Lez.
Alors là, je te suis mal. J’ai de nombreux souvenirs très vivaces de la période des années 1940-1945 mais j’avoue que je ne comprends pas.
{}Évidemment, tu ne pouvais pas savoir. Souviens-toi ! Votre camion avait très souvent beaucoup de mal à démarrer le matin. Tu en parles d’ailleurs dans ton récit relatif aux gazogènes.
Oh oui, c’était la galère. Parfois l’hiver, il le garait le soir dans la côte de St Vincent mais le lendemain matin au bas de la descente, le « canard était toujours vivant », si j’ose dire. Bref ! Le moteur demeurait toujours aussi muet. Alors, le mécanicien du village intervenait.
Voilà pourquoi ton père l’a échappé belle ! Ce jour-là, votre camion se trouvait dans notre garage. Donc pendant que nos deux paternels, le mien, mécano du patelin, et le tien s’escrimaient après le véhicule, mon frère Henri et moi, nous accrochions en douce des guirlandes multicolores autour du plateau du véhicule.
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{}Je ne connaissais pas cette histoire mais je me souviens toujours de la période d’avant-guerre fin 1938 ou début 1939 ou jouant sur la place du village devant le « Café du Nord » avec d’autres enfants, nous avions vu arriver soudain quelques adultes à l’allure farouche, fusils de chasse en bandoulière, encadrant deux inconnus.
Je retiens surtout de cette image, l’allure martiale et comique de nos chasseurs et surtout la présence curieuse d’un nommé Diégo PAGAN qui faute de fusil avait sur l’épaule une espèce de pioche à quatre dents épaisses destinée normalement à l’arrachage des vieux ceps de vigne. Quant à nos deux « lascars », il me semble qu’on les avait un petit peu malmenés.
La radio d’état aidant, un vent « d’espionite » soufflait dans les chaumières si bien que tout individu errant aux alentours était illico classé traitre ou agent de l’étranger. Nos deux réfugiés belges, nos deux randonneurs dirions-nous aujourd’hui, avaient eu la malchance d’être aperçu, admirant le bourg du haut de la colline de Montauban. Peut-être avaient-ils un appareil photo mais qu’auraient-ils pu enregistrer ? Le village n’avait rien de stratégique mis à part une cabane où le garde champêtre entreposait des fusées anti-grêle. Bref ! Nos fringants Nemrod avaient remis leurs prisonniers aux gendarmes
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Cela dit, Il me restait donc à supposer les raisons pour lesquelles, Émile, mon père, avait eu beaucoup de chance :
« C’était plus ou moins la retraite pour les allemands mais il restait encore çà et là quelques éléments S.S. éparpillés rôdant encore dans les parages à la recherche de toutes sortes de moyens de locomotion. Ce jour-là justement, une section combattante bloquait à Montferrier tous les cyclistes et autres qui passaient au bas du village. Il suffisait qu’en fouillant les individus, ils découvrent, un couteau ou je ne sais quel outil et immédiatement, les malchanceux étaient fusillés sur place sans autre forme de procès. Une stèle en bord de route rappelle encore aujourd’hui ces instants dramatiques. »
Deux cyclistes de Prades, Jacques MAYOL et un nommé MARIN, dont j’ai oublié le prénom, avaient été également piégés mais, eux, je ne sais pour laquelle raison, la troupe les avait gardés en otage et relâchés le surlendemain aux environs d’Assas ou de Castries.
Telle avait été donc, pour ce qui le concerne, la chance de mon géniteur. Il me suffit d’imaginer que le camion démarre en fin de matinée et aussitôt après le repas, il serait parti à Montpellier livrer son chargement comme d’habitude. Au retour, par malchance, il aurait sûrement butté sur les Allemands qui, outre la capture du véhicule, l’auraient fusillé sur le champ comme les autres malheureux. Nous avions tous en tête, y compris les enfants, le martyre d’Oradour- sur-Glane dont la nouvelle avait révolté les familles.
La débandade ! Tout avait commencé en fait bien longtemps auparavant. En premier lieu, il me souvient d’un convoi de véhicules hippomobiles qui, fuyant vers le Nord et tapissant la route de crottins, avaient traversé, plusieurs jours durant, le village hébété. De temps en temps, ils s’arrêtaient dans nos épiceries ou à la boulangerie faire quelques emplettes. C’était encore bien organisé et assez calme. Le crottin des chevaux avait fait le bonheur de nos jardiniers.
Quelques temps après, c’était la remontée, toujours vers le Nord, des engins moteurs. Véhicules assez disparates d’ailleurs, empruntés arbitrairement chez les civils et définis derechef comme prise militaire. Le passage dans le bourg se passait assez promptement mais nous savions que plus loin, aux premiers contreforts des Cévennes, voire du pic St Loup, des groupes de résistants les attendaient. La retraite vers la Germanie était loin d’être pour ces soldats en perdition un long fleuve tranquille.
Pendant cette longue « Bérézina », un car rempli de soldats s’était notamment arrêté dans le centre du village, juste en face de la grille de la croix du Christ. Là, il y avait une fontaine métallique galbée sur laquelle j’étais assis à califourchon. Un car stoppe et aussitôt des soldats me tendent par les ouvertures leurs bidons à qui mieux mieux. Mea culpa, je m’accuse d’avoir était livreur d’eau complice de l’armée allemande en déroute. Autant que je me souvienne, cela m’a rapporté moult « Danke schön » chaleureux complétés d’une rustique tablette de chocolat.
Pendant cette période intermédiaire de combats sporadiques, Il nous arrivait, Pierre et moi, d’aller au plus près des combattants. Une fois nous avancions sur la D.17 en direction de Montpellier, progressant pas à pas et nous cachant alternativement derrière les platanes. C’est là que tout à coup je découvrais en fin d’après-midi, face à la distillerie, mon premier soldat allemand mort couché sur le ventre dont un inconnu avait récupéré les bottes. Un peu plus loin, un camion de ravitaillement, vidé de son contenu, gisait, sur le flanc au bord de la rivière. Je présume qu’il s’agissait du chauffeur.
J’étais au demeurant d’un tempérament audacieux et curieux si bien que je me trouvais là où il ne fallait pas. Bien avant 1968, j’appliquais à ma façon les « interdits d’interdire » qui me valaient parfois quelques sévères remontrances bien appliquées.
Débandade encore. Débâcle dirais-je pour être plus précis. Quelques journées après, tous les adultes, enfants, maire et curé compris étaient à l’entrée du village, juste à l’embranchement de la route de Vendargues. C’était l’euphorie cacophonique d’autant que l’ami Pierrot, ne manquant pas de courage malgré son jeune âge, était monté tout seul accrocher un drapeau français sur le clocher de l’église. Il ne manquait plus que la chorale entonnant l’hymne national. L’ambiance était au patriotisme effervescent.
Soudain un cri dans la foule dans laquelle je me trouvais avec Gérard JULIAN , un autre copain d’école et de jeunesse.
« Sauvez-vous, les allemands reviennent » ! Effectivement, apparaît au loin, une escouade à vélo, assez baroque d’ailleurs, compte tenu qu’elle est emmenée par un officier assis dans cabriolet d’antan tiré par un cheval. Un vent de panique souffle alentours. Nos ainés avaient toujours en mémoire le souvenir des massacres du Limousin, voire même du drame de Montferrier sur Lez tout récent :
« Vite les enfants, allez-vous cacher dans les vignes ! «
Comme une volée de moineaux, nous nous étions égayés dans la nature pendant que, superbement, le curé, l’adjoint au maire et quelques adultes dont notre instituteur, Georges BUSNEL, devenu par la suite journaliste responsable de la rédaction sportive du journal « Midi Libre » étaient allés à la rencontre des militaires : Messieurs, vous désirez ?... Ce n’était pas des matamores mais plutôt quelques vétérans de la Wehrmacht « paumés » sur nos routes : « Camarades, camarades, s’égosillait leur feldwebel ! »
A notre retour, nous apprenions que ces pauvres bougres, peu fiers et complètement perdus, cherchaient tout simplement leur chemin et ne demandaient qu’à fuir au plus vite vers la mère patrie. Je doute qu’ils soient tous arrivés à bon port, mais c’était la guerre.
Nos jeunes acrobates pouvaient désormais remonter sur le clocher pour agiter leur bannière tricolore à la bise du large. Les strato-cumulus « verts de gris » avaient disparu et le ciel nous semblait davantage teinté d’azur. Je crois me rappeler que le curé, l’adjoint et »l’instit » ont fait chanter la marseillaise. C’était enfin la libération.