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mardi 15 juillet 2003, par
Notre région a été traversée par des voies importantes dès la préhistoire. A la saison sèche, les hommes et leurs troupeaux quittaient la garrigue pour gagner les terres fraîches de la Lozère. C’était il y a 4000 ou 5000 ans. Selon toute probabilité, la transhumance est à l’origine des premiers itinéraires "fixes" vers le Massif Central.
Les populations indigènes, à la même époque, se procuraient du cuivre en Cévennes et à Salinelles du silex en plaques qui a servi pour la fabrication de flèches, grattoirs et autres instruments. Très tôt donc, ces chemins sont devenus vecteurs d’une activité commerciale limitée mais réelle.
A la hauteur du Pic St Loup, la grande transversale : Nîmes/Vieille Toulouse, par Sommières et Lodève, coupait la voie Montpellier/Anduze qui comporta une bretelle vers Alès (le Puy) extrêmement fréquentée à partir du Moyen-Age.
Nous connaissons deux tronçons correspondant à des tracés différents de cette très ancienne route. Ces deux tronçons, sensiblement parallèles, sont assez facilement identifiables encore aujourd’hui.
Le premier passe par Tréviers, il gagne à l’Est des Hauts de Valcyre : Alayrac, le pied de Favas, traverse la plaine de Corconne et par le mas de Volle et Fontsange, entre dans le vieux Sauve par la ville haute.
Le second passe par Ste Croix de Quintillargues, Fontanès, le mas de la Tour, Aiguebelle, Quissac. C’est une vieille draille qui a servi d’assise à une voie médiévale, sans jamais cesser d’être utilisée par les troupeaux.
Ces chemins ont été essentiellement utilisés pour des déplacements à pied ou à cheval et des transports à dos de mulets ou d’ânes. Pendant une période très courte, la charrette est attestée : lors de l’occupation romaine, puis au XIIe siècle, favorisée par l’invention du collier et du ferrage des sabots.
La détérioration des chemins, le manque d’entretien, comme nous l’apprendrons plus loin, conduiront à l’abandon de la charrette pour quelques siècles encore.
A regarder les cartes de près, on peut constater que ces tronçons ont été repris, soit pour le tracé de routes modernes, soit pour des chemins de terre.
Une série de tours gardent ces deux itinéraires : Tours de Salles, Tour du Bouvier, Castellas de Corconne, Tour des Fées. S’il est possible de dater les vestiges actuels entre le Xe et XIIe siècle, il est probable que pour les Tours de Salles et le Castellas de Corconne, une occupation des lieux antérieure au début du Moyen Age soit repérable… La Tour du Bouvier à Vacquières est directement liée à la traversée du Brestalou et à la surveillance ou la protection du pont.
LE CHEMIN D’ALAYRAC A SAUVE
Sur l’itinéraire Tréviers/Alayrac/Corconne/Sauve, nous disposons d’un article écrit en octobre 1893 par Auguste Cavalier et publié dans le "Félibrige latin", nous le citons :
"Le chemin d’Alayrac à Sauve, cette désignation est empruntée aux vieux compoix (XVIIe sc.) de la commune de Vacquières qui y joint cette mention : "le plus vieux chemin de la paroisse". Elle s’applique en effet à un très vieux chemin qui court à l’Ouest et à trois cent mètres environ du village, sur le versant Est et au pied même du bois de Favas. Sur la plus grande partie de son parcours, ce chemin sert encore aujourd’hui à l’exploitation agricole des terrains environnants. Il sort du territoire de la commune et en même temps de celui de l’Hérault pour entrer sur le territoire de Corconne (Gard), qu’il traverse sur une assez grande longueur, sans passer par le village même et le laissant à 400 mètres au Nord. A la hauteur à peu près du domaine de Planque, il contourne les bois de "Couta", qu’il longe ensuite sur leur versant Nord jusqu’à Sauve, où il entre par le haut de la ville, à travers les plus vieux quartiers…".
Cette voie est antérieure à la construction du pont de Quissac sur le Vidourle et le fait qu’elle évite cette traversée difficile est un indice important quant à l’époque d’utilisation de cet itinéraire. Il semble que ce tronçon était "le chemin vers Anduze" de l’époque pré-romaine jusqu’au seuil du XIIe siècle. Après la construction du pont sur le Vidourle, une bretelle a rattaché cette voie au nouvel itinéraire (par le bourg de Quissac) - elle existait toujours à la fin du XVIIe siècle. Le second itinéraire par Ste Croix et Aiguebelle, plus rapide et plus court, semble avoir prévalu pendant tout le Moyen-Age.
Notons qu’Alayrac était propriété des Bermond de Sauve et que le domaine fut donné aux moines lors de la fondation de l’abbaye St Pierre de Sauve en 1209. Alayrac dû aux moines la petite chapelle romane, démolie pour faire place au sanctuaire actuel. Il est probable que ce domaine correspondait à une villa gallo-romaine, les nombreux fragments de tuiles qui jalonnent les lieux semblent le confirmer.
Dans la description donnée par A. Cavalier, la traversée de la plaine de Corconne pose problème. Cavalier privilégie un chemin porté effectivement sur le cadastre comme étant le chemin de Vacquières à Quissac. Je pense, mais ce n’est qu’une hypothèse de travail, que la voie passait à l’origine au pied de Crémal et au pied de Corconne (rue du Moulin à huile) pour continuer par la Vialate.
LE CHEMIN DE STE CROIX A QUISSAC
Sur ce tronçon, nous disposons d’un certain nombre de documents dont le plus important est certainement le procès-verbal descriptif, dressé à la demande de Colbert en 1668, et qui concerne la totalité de la voie Régordane. Nous le citerons pour l’essentiel. Nous reprendrons aussi l’article de Cavalier en particulier pour la description qu’il donne du pont "médiéval" sur le Brestalou.
Dès 1250, à propos de péages, le trajet par Ste Croix apparaît dans les textes au moment où l’axe Montpellier/Alès par Sommières est déjà un concurrent sérieux.
Au XVe siècle, "l’Itinéraire de Bruges" destiné aux pèlerins et aux commerçants de la capitale des Flandres donne les étapes suivantes : St Pierre de Lesae (Lézan), Aquabelle (Aiguebelle), Fontaines (Fontanès), etc.
La destruction du pont sur le Gardon d’Anduze à Lézan (1410) et du pont sur le Brestalou à une date inconnue, ont porté un coup fatal à cette route au bénéfice d’autres trajets.
Reste qu’elle a été une grande voie médiévale, extrêmement fréquentée, avant de redevenir la "draille" des temps anciens.
ANCIENNE ROUTE MONTPELLIER-ALES-LE PUY
Procès-verbal effectué par L. de Froidour en 1668.
Itinéraire Fontanès-Quissac
"A la sortie de Fontanez, nous avons trouvé un ruisseau où nous avons jugé qu’il était à propos de faire un pont… De Fontanez jusqu’à la rivière de Brestalou, nous avons trouvé le chemin assez bon, sauf que comme il n’est fréquenté que par les personnes qui voiturent (transportent) avec des chevaux et des mulets, il n’y a que des sentiers que l’on peut avec peu de frais accommoder pour le charroy (pour les charrettes).
Estant à la rivière de Brestalou… nous avons trouvé un ancien pont à trois arches qui depuis longtemps est inutile, étant en ruine. La rivière ayant changé son lit, toute la rive a été emportée et rejetée de l’autre côté, de sorte que la chaussée par laquelle on abordait au pont de l’esperon (le mur) qui la soutenait sont entièrement emportés ; comme nous avons trouvé le pont bien fondé, les piles en bon état, nous avons estimé (une réparation possible)…
Au sortir du pont, au lieu d’aller droit dans les prés, lesquels quoi qu’en saison sèche (étaient mous), il sera nécessaire de prendre le chemin à main gauche au travers des garrigues, où il sera très facile à accommoder. Nous avons trouvé jusqu’au ruisseau d’Aiguebelle deux ruisseaux, le premier appelé de Ver, sur lequel nous avons estimé qu’il fallait faire un pont… et le second sur lequel il faut seulement un ponceau (Puech Bedon).
Nous sommes ensuite passés au château d’Aiguebelle et au bout des dernières maisons, nous avons trouvé un ruisseau sur lequel nous avons estimé qu’il fallait faire un petit pont (Bauliac).
Jusqu’à un autre hameau appelé la Rouvière de Liouc, nous avons trouvé le chemin assez bon, et même que l’on pouvait le prendre tantôt à gauche, tantôt à droite dans quelques garrigues et dans quelques olivettes pour le nettoiement desquelles on a jeté les pierres sur ledit chemin.
Depuis la Rouvière de Liouc jusqu’au bourg de Quissac, nous avons trouvé la même facilité… étant arrivés à Quissac et descendu en l’hostellerie où pend pour enseigne l’image des Trois Roys…".
L’apogée de la voie médiévale se situe sans aucun doute pendant tout le XIIIe siècle. Comme l’attestent les problèmes de péages qui se multiplient à ce moment-là et donc reflètent l’intérêt porté à la rentabilité des droits perçus. C’est au cours de cette période que les habitants de Quissac durent faire face à une importante réparation du pont sur le Vidourle mis à mal par de fortes crues.
LE PONT MEDIEVAL (VACQUIERES)
Pour assurer la traversée du Brestalou, il y avait à Vacquières un pont construit au seuil du Moyen-Age, que nous pouvons situer avec assez de précision à l’Est du gué qui en assure à présent le relais. De ce pont, Monsieur de Froidour nous disait déjà qu’en 1668 il était ruiné, le mur de soutien de la chaussée d’accès détruit et emporté par les eaux. Subsistaient les piles en bon état, du moins susceptibles d’être réparées… En 1893, voici ce qu’écrivait A. Cavalier du même pont :
"Tout vestige du tablier et même des voûtes ont depuis longtemps disparu. Il ne reste debout que les piles, au nombre de quatre, encore ne sont-elles pas dans un état de conservation remarquable. La mieux conservée, la deuxième du côté Sud, mesure à vue d’œil une hauteur de 5 mètres, c’est la seule contre laquelle il soit permis de relever nettement la naissance des arcs de voûtes. Les autres, dont la hauteur varie entre 1m50 et 3 mètres, ne présentent rien de particulier : elles sont espacées les unes des autres d’environ 7 à 8 mètres et la longueur totale du pont ne devait pas être inférieur à 35 ou 40 mètres".
A l’endroit du pont, le cours du Brestalou s’est profondément déplacé comme le note Cavalier, les piles du pont sont orientées Est-Ouest, alors que la rivière arrive du Nord-Ouest, le pont se trouve donc hors du lit actuel de la rivière. Aujourd’hui, deux piles subsistent totalement ensablées… Reste inscrit au cœur des garrigues la mémoire fragile de ce qui fut l’une des voies les plus connues et les plus fréquentées entre Méditerranée et Flandres et si nos pas lèvent sur ce chemin un vol de cigales, avec un peu d’attention, ils nous restitueront peut-être aussi le chant d’autres pas sous la poussière.
LE PONT TROUE DE VACQUIERES
Sur l’ancienne voie Ste Croix/Quissac, près de la bergerie de la Rouvière (vers Parc le Duc), une bretelle se détachait en direction de Vacquières. Ce chemin assurait la desserte du village et sa liaison avec Montpellier, il franchissait le Brestalou sur un pont aujourd’hui troué. Ce pont situé à 1km5 du village relayait un gué. Avec ses pierres mal appareillées, ses voûtes fragiles, ses avants becs un peu courts, la calade fruste d’un tablier assez large mais fait pour des chargements peu importants, cet ouvrage construit par les hommes du pays, semble davantage destiné au passage des troupeaux ou d’ânes qu’à de lourds charrois.
Il est à l’image de ce qu’était l’économie du terroir à l’époque où les céréales couvraient l’essentiel des terres et où la vigne n’occupait encore qu’une faible part des surfaces cultivées. Il est pauvre comme était pauvre ce pays : humble témoin mais témoin privilégié d’une période qui a laissé bien peu de traces de la vie paysanne. Sa construction difficile à dater se situe entre le XVe et le XVIIe siècle. Le chemin lui-même est resté assez longtemps en usage puisqu’en 1835, la D.109 (route actuelle entre Fontanès et Vacquières) n’existait toujours pas.
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