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mercredi 13 août 2003, par
Avant que je m’appelle le pic SAINT-LOUP du nom de ce brave garçon qui avait fait l’ermite dans les garrigues, je m’appelais Lou Cam. C’était mon premier nom, un peu comme aujourd’hui, quand les gens du pays disent
Le Pic. J’aimais ce nom, je l’aimais même beaucoup. Il sonnait clair. C’était un nom tout simple mais avec la complicité du temps et des saisons, nous en avions fait un nom d’amitié.
Un jour, c’était il y a bien longtemps, des scribes tout frais débarqués de Paris sortirent leurs gros dictionnaires latins pour mettre de l’ordre dans les choses de ce pays. Evidemment pas un n’entendait la langue d’Oc et encore moins le patois des cigales qui sont le parler de notre belle province. Leur prétention à tout régenter n’en fut que plus ostentatoire... ainsi décidèrent-ils, vers les calendes d’automne, de me fabriquer un nom à la sauce érudite. Allez voir dans quelle bourbouillade d’herbes savantes ils me traînèrent des mois durant avant de m’arracher à mon nom . J’étais lou Cam par eux je devins MONS CAMELI . Ces espèces de dromadaires n’avaient rien trouvé de mieux que de me traiter de vieux chameau, même dans la langue de Cicéron, quel blasphème !
Regardez les anciennes chartes, les cartulaires, vérifiez [1] pas un ne m’a épargné. J’étais défiguré, humilié et qui plus est bossu pour l’éternité.
Blessé par l’injure, déshonoré, j’en tombais malade. Semaine après semaine, je dépérissais tant et si bien que le menu peuple et les Seigneurs du voisinage décidèrent de porter l’affaire devant l’Evêque de Maguelonne. Lui seul pouvait braver ces barbares, lui seul pouvait me rendre ma dignité.
Le pèlerinage
Bien avant l’aube le lundi de Pâques, les cloches des églises se mirent à sonner à travers le pays, battant, carillonnant, appelant à toutes volées : " vièni ! vièni ! vièni ! "
De Claret à S.Jean de Cuculles, des Matelles à Corconne : hommes, femmes, enfants s’apprêtèrent à prendre la route. Les Embruscalles fournirent une première escouade de journaliers, au plus court par les chemins de vignes, ils retrouvèrent ceux des garrigues et des mas. À hauteur de chaque village un nouveau groupe les rejoignait et le moindre carrefour apportait son lot de bergers ou de valets de ferme. Toutes les paroisses déboulaient en rangs serrés, la procession grandissait à vue d’oeil, si bien que passé Prades, la foule des fidèles, comme les grands troupeaux au retour de l’estive, noyait la plaine du Lez. Que c’était beau cette immense manade en marche vers la mer !
Soutanelles au vent, tonsurés de frais, moines et moinillons ouvraient le cortège. Derrière eux, dans un nuage d’or, de prière et d’encens : le clergé. Un peu plus loin, bannières déployées, caracolant sur leurs montures : nobles, nobliaux et gentes dames. Velours chatoyants, taffetas, soiries délicates, brocarts éclatants tous avaient revêtu leurs plus beaux atours, sellés leurs plus beaux chevaux.
Les consuls de Tréviers et autres lieux suivaient en robe et chaperon d’écarlate vermeille.Les congrégations leur emboîtaient le pas : celle des verriers du Causse, camisole brodée, brayes et mantelet de serge noire, celle des charbonniers que je reconnaissais à leur large ceinture de flanelle bleue, celle des mouliniès. La vénérable corporation des vignerons précédait l’archiconfrérie des braconniers, puis venaient les notaires, les apothicaires, les barbiers qui se seraient fait saigner pour la cause !
Quand ils arrivèrent à Maguelone, l’évêque les attendait à la porte de sa cathédrale. Il les bénit, écouta leur supplique avec bienveillance et chercha une sainte solution... Comme il m’aimait bien, il décida que désormais j’aurais un vrai nom de baptême et qu’on m’appellerait le pic S.Loup à cause - je vous l’ai déjà dit - du garçon qui avait fait l’ermite dans mes garrigues. C’est ainsi que, depuis ce jour, je suis devenu le Pic S.Loup et que ce nom, je me le garde de crainte que quelque scribe illettré ne me joue un autre tour de chameau...
[1] Cf. H.G. du Languedoc de Dom Vaissette Livre VII
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