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mardi 23 septembre 2003, par ,
L’industrie drapière au moyen-âge
Elle est liée à l’élevage des ovins, activité importante au Causse et représente un débouché pour l’économie "de garrigue" qui prospère à cette époque.
Les troupeaux fument les terres cultivables puis, une fois les semences
levées, gagnent les landes et devois. En été, ils transhument vers la Lozère essentiellement dans le secteur du Larzac et des grands causses.
La démographie est lente mais constante et la garrigue se transforme à cause de cette expansion…
De grands défrichements sont nécessaires : l’ager (terres cultivées) s’agrandit aux dépens du saltus (pâturages) et de la silva (forêt).
L’activité humaine a donc peu évolué depuis l’époque romaine et notre commune demeure comme aux temps anciens tout à la fois vocation agricole, forestière et pastorale.
Les guerres de religion vont dès le XVIe siècle sensiblement modifier les données économiques et humaines, et déclencher un processus d’insécurité lié aux destructions des cultures et au harcèlement des
populations. Ces événements provoqueront une période de stagnation et même de légère récession économique et démographique.
Il faudra attendre le XVIIe et le XVIIIe siècle pour que la prospérité réapparaisse et qu’aux trois activités précitées liées à la terre s’ajoute la production de petite industrie.
Les XVIIe et XVIIIe Siècles
Nous ne possédons que peu de documentation sur cette période, hormis un certain nombre de notes émanant du compoix de Pégairolles de Buèges datant de 1644 et qui font état de la vie économique de quelques mas du Causse. Notre commune compte alors 350 habitants.
La Beaume
Situé au pied du signal de Montaud et surplombant la vallée de l’Hérault, ce hameau comprend à cette époque cinq maisons accompagnées de cinq cazals (ou cazaux), bâtisses de pierres sèches utilisées pour entreposer l’outillage. Six propriétaires vivent là des ressources de la terre. Les grandes parcelles s’appellent "la rompude" ou "le grand champ de Vallat" et sont des avancées sur le bois obtenues par défrichement. Un ensemble de champs s’appelle "la Condamine", nom donné aux
terres ayant appartenu au seigneur (le baron de Pégairolles de Buèges). On trouve quelques vignes (trois hectares seulement) ainsi qu’un hectare et demi d’oliviers.
Deux étables abritent les bœufs utilisés pour les labours des champs. L’abondance des ferragiales, jasses et devois prouve qu’à la Beaume séjourne un important troupeau d’ovins. Les ferragiales, maigres champs semés de graines locales mélangées constituent un complément important pour la nourriture des agneaux.
La grotte de la Beaume qui s’ouvre au-dessus du hameau, à mi pente du signal de Montaud sert la nuit venue de bergerie et permet en cas de nécessité d’abriter les moutons.
Il existe aussi à cette période une chanvrière à la fontaine et trois safranières (safran utilisé, non pas en gastronomie, mais en draperie pour teindre le tissu). Ces essais de cultures nouvelles n’ont eu que peu de succès puisqu’elles ont disparu par la suite.
Le Bouis
A deux kilomètres à l’est de la Beaume se situe la métairie du Bouis. Celle-ci se compose de plusieurs bâtiments avec pigeonnier, pailler, four, tinal, cazals, jasses et étables. Une énorme citerne sise sous les constructions alimente en eau potable humains et bétail. La surface des champs est évaluée à 11 ha répartis autour de la métairie. Ces cultures fournissent l’essentiel des récoltes et complètent la production de 1,75 ha de vignes et des quelques oliviers. La présence de 5 ferragiales indique qu’il existe là aussi un important troupeau d’ovins qui paît 150 ha de devois. Les moutons sont abrités dans de vastes bergeries voûtées et obscures sans
aération comprenant de nombreux piliers de soutènement. Ces bâtisses sont construites à même le rocher, sans nivellement du sol, ce qui devait représenter un lourd handicap pour la récupération du "migou" (fumier de mouton indispensable à l’ensemble des cultures).
Il existe au XVIIIe siècle un intense élevage de vers à soie attesté par la présence au mas d’immenses magnaneries. Celles-ci sont astucieusement situées au dessus des bergeries pour en récupérer la chaleur. De nombreuses cheminées placées le plus souvent dans les angles des pièces permettent de maintenir dans les locaux une température élevée indispensable au développement des vers et à la formation des cocons. La grande quantité de mûriers subsistant encore aujourd’hui autour du mas fournit une preuve supplémentaire de l’intense activité séricicole. La feuille de cet arbre (qui doit être greffé) est la seule qui permette d’obtenir la qualité de soie recherchée. Les vers en dévorent des quantités quasi industrielles plusieurs fois par jour, ce qui constitue pour les exploitants une lourde charge de travail supplémentaire.
A côté du maître vivent au Bouis des journaliers qui assurent les travaux courants de l’exploitation et, à l’occasion, défrichent pour leur compte personnel quelques lopins de terre.
Ici l’auteur ne peut s’empêcher d’évoquer l’article paru dans une précédente Garrigue et concernant l’existence au Bouis de dix-neuf colonnes mystérieuses. La destination de ces piliers alignés, hauts de quatre mètres et transpercés en leur partie centrale nous est toujours inconnue. L’industrie séricicole ou drapière est vraisemblablement impliquée dans leur utilisation… Mais dans le détail, la clé du mystère nous échappe toujours…
Merle
Le mas de Merle situé à environ 2 km à l’est du Bouis compte deux maisons et cinq cazals pour deux propriétaires résidents ainsi que 27 ha de champs et 6 ha de vignes. Les deux jasses et les 585 ha de devois attestent de l’importance du troupeau. Les champs ont pour nom "les mouillères" ou "can del pous", dénomination qui semblerait indiquer la présence d’humidité dans le sol… ?
Comme à la Beaume, on trouve trois chanvrières. Il existe aussi cinq ferragiales dont deux sous la jasse, protégées par celle-ci pour que l’hiver, les bêtes puissent brouter à l’abri du vent du nord.
La Celle
Ce mas dont notre commune tire une partie de son nom est situé 500 m environ à l’est de Merle. Il appartient à cette époque à deux propriétaires. Chacun possède une maison avec son four, son cazal, sa jasse. On rencontre quatre grandes parcelles cultivées notamment "la rompude de Bruguier" champ qui a très certainement conservé le nom de son "défricheur". Il existe autour du mas 4 ha de vignes et 1 ha d’oliviers. Comme dans les autres écarts de la commune, un important troupeau paît 429 ha de vois. Deux
ferragiales fournissent le complément d’alimentation nécessaire aux agneaux.
Les mas de la Grange, Gervais, Marrou, Mastarguet, Bertrand, Fenouillet, Encontre, les Limonières, Souchou, l’Agast, Moustachou, les Claparèdes, existent déjà à cette époque, peut-être découvrirons-nous, un jour, des documents nous permettant de mieux les connaître. Tous ces écarts témoignent d’un habitat extrêmement dense et dispersé. Chaque petite cellule vivant repliée sur elle-même et produisant la base de son alimentation.
La vie quotidienne
Les actes de mariages révèlent de très nombreuses unions de jeunes filles du Causse avec des bergers originaires de Vabre, Chaudes-Aigues, Mende, Marvejols, Rodez, ou Alès. Ces "pastres", recrutés à la montagne lors de l’estive sont souvent des cadets de familles paysannes écartés de la propriété par le droit d’aînesse qui se "louent" à la saison dans "la Plaine" et viennent ainsi, avec le troupeau, passer l’hiver au Causse… Les actes nous enseignent également que le bois, transformé en charbon alimente les industries proches de Ganges, Lodève, ainsi que le bas Pays…
En 1723, Jean Clauzel et sa femme ont déclaré "faire du charbon, et avoir aménagé une hutte proche du moulin de Bertrand où ils résident".
Une note qui relativisera les récents aléas climatiques que nous subissons nous a paru particulièrement intéressante à souligner : elle relate le "Déluge du 29 septembre 1723"’ qui a fait de nombreux dégâts à Moustachou. Ce jour-là, un certain Guillaume Crouzet perdit dans son cellier, trois muits de vin, (21 hl) et du blé. Sans le secours de son voisin de Mastarguet (mas
surélevé par rapport à la cuvette de Moustachou), tout son troupeau ainsi que ses bœufs auraient péri noyés. "Les chemins et les terres ont tous été emportés et les rochers sont nus et découverts. A St
Guilhem, de nombreuses maisons ont été détruites et beaucoup d’escaliers démolis par Verdus. Les meules au bord de l’Hérault ont été emportées par les eaux".
_ Ces dégâts paraissent surprenants sur le Causse, plateau dépourvu de cours d’eau ; ils s’expliquent, nous l’avons déjà souligné, par la situation particulière de Moustachou, implanté au creux d’une cuvette karstique.
Cet incident prouve cependant que la déforestation du site devait être déjà bien avancée, en effet, les eaux, si furieuses qu’elles eussent été n’auraient pas emporté terres et chemins si des racines avaient retenu le sol.
Article de presse écrit par J.P. Pitot et A. Vareilhes - La Garrigue entre la Séranne et le Pic Saint Loup n°83 - Décembre 1995.
Introduction de l’article originial : Suite de l’article paru dans le n°81. Cette série évoque le passé de notre commune. De nombreux éléments d’information proviennent du mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme d’études supérieures de géographie à l’Université de Montpellier en 1966 par Mme Jeanne Maurel que nous remercions une fois encore.
Cet article fait partie d’une série de trois : 1 - 2 - 3.
Avec l’aimable autorisation des auteurs.
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