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vendredi 25 novembre 2005, par
Mortiès Nord : une petite ferme médiévale complète de la seigneurie de Montferrand (Saint-Jean-de-Cuculles)
L’analyse détaillée de l’architecture des bâtiments de Mortiès nord et des terrains environnants permet de reconnaître une petite unité bâtie tout à fait complète et exceptionnellement conservée jusqu’au niveau des fenêtres [1]. Cet ensemble installé dans des terrains rocailleux et pentus a nécessité des moyens importants pour son installation.
Nous repoussons une première interprétation possible qui serait celle d’une unique structure de défense liée au château de Montferrand relativement proche, de vocation non productive, en raison d’une position peu stratégique et du choix d’implantation prioritaire à l’emplacement d’une grotte existante pour faire office de cellier. Il semble qu’il faille repousser également la détermination d’une ferme à vocation agricole exclusive en raison des terrains totalement incultes sans aménagements humains considérables, au moins aux débuts d’une installation.
Nous proposons donc ici la mise en place au cours du XIIe ou au début du XIIIe siècle (d’après les céramiques "oxydantes polies") d’une structure de production et d’habitation rurale, peut-être à l’échelle d’une famille libre et agréée par les pouvoirs en place, et donc située à un certain niveau de la hiérarchie sociale. La "ferme" aurait été basée sur une vocation pastorale prioritaire, mais a dû aussi entretenir des lopins en terrasses (il faut remarquer la présence de tels aménagements dégradés dans le sous-bois au long des pentes en contrebas des constructions) pour les cultures vivrières nécessaires au groupe humain, tout en se souciant de sa propre protection par certains aménagements défensifs. A la fois séparé de l’habitat humain tout en s’en trouvant très proche, le corps de bâtiment de l’est que nous interprétons comme une étable ou bergerie, alimenterait fort bien la vocation pastorale. Dans un second temps, à la suite du profit de la propriété, et peut-être aussi en raison de l’agrandissement du groupe humain, un second bâtiment d’habitation a été accolé au premier, probablement au cours du XIIIe ou au XIVe siècle d’après les céramiques les plus tardives ("vernissées de l’Uzège"). Enfin, cet ensemble qui n’est plus du tout repérable sur la carte de Cassini, pas plus que sur le "cadastre napoléonien", ni au niveau des bâtiments ni à celui du découpage cadastral des terres mises en culture, aurait été abandonné vers les XIVe ou XVe siècle compte tenu de l’absence de céramiques de datation postérieure, de l’effacement généralisé du parcellaire et de l’envahissement des lieux par la forêt.
Sur le plan des mentions, F. Hamlin [2], rattache au gros domaine agricole actuellement appelé Mortiès et présent en bordure d’une plaine fermée, un peu au nord de St Jean-de-Cuculles, et très peu au sud de la ferme étudiée (300 m), une unique mention Mansus de Morteriis, de 1258, qui accompagne celle de Valli de Morteriis (Cartulaire de Maguelonne) (fig. 5). Cet établissement toujours en activité, appelé "Mortiers" en 1759, semble homogène dans sa construction et présente une porte principale datable du XVIIe siècle. Il pourrait éventuellement rhabiller une construction plus ancienne, à moins qu’il ne prenne le relais, avec un déplacement, de l’ancien Mortiès. Comme nous avons en fait reconnu actuellement deux fermes médiévales inédites en bordure du bassin, celle-ci, juste au nord, et une seconde à même distance vers l’est, il est difficile de rattacher avec certitude la mention ancienne avec la ferme de "Mortiès nord", d’autant plus qu’en 1248 sont signalés comme dépendances du château de Montferrand un certain nombre de noms de manses et d’établissements qui n’ont jamais pu être localisés territorialement, tels les manses de Podio Gayrus, de Federia, de Rocaroya, de Devesas, de Escaleta, le mansus Rolandus et l’Appenaria de Vivo, que nous avons retrouvés à travers un dépouillement probablement incomplet de l’ouvrage de F. Hamlin. Ce qui paraît certain c’est que la ferme reconnue existait bien à la date de la mention et que, petite unité d’exploitation rurale d’assez courte durée, elle aurait fort bien pu n’être mentionnée qu’une fois, alors que s’il existait un gros domaine à la même période celui-ci aurait probablement été mentionné à plusieurs reprises dans les cartulaires des XIIIe et XIVe siècles comme c’est le cas pour les manses d’une certaine importance, ceci avec d’autant plus d’évidence que la dénomination est bien typée et qu’elle s’est conservée dans le temps.
Cette petite ferme, un manse ou une appenaria de l’époque médiévale, n’est en fait pas du tout isolée territorialement, elle s’intègre dans un vaste complexe d’occupation humaine se développant à la même période, aux pieds même du château de Montferrand, sur les avants-monts du Pic St-Loup. En effet, cette année même, au cours d’une enquête de terrain relativement poussée, une bonne vingtaine d’établissements de différents types et souvent assez bien conservés, ont été détectés dans les bois de chênes verts qui ont recouvert intégralement l’ancien parcellaire agricole tout autant que les habitats. La conservation des constructions est telle qu’il est souvent possible de proposer, sans aucune fouille ni nettoyage, un relevé plus ou moins complet des structures et une interprétation de l’ensemble. Parmi les différents types d’installations on soulignera des constructions monumentales devant dépendre directement du château, mais aussi l’existence d’unités rurales de dimensions variées et celle, enfin, de petites maisons, ou loges, à simple corps rectangulaire d’une trentaine de m2, assez semblables à la ferme de Mortiès Nord dans son premier état, et installées aussi au milieu des pentes rocheuses particulièrement ingrates. L’effacement presque total et rapide, au XIVe siècle, semble-t-il, de cette communauté vraisemblablement liée au pouvoir seigneurial de Montferrand, au profit probable de zones plus proches des terres cultivables de la Val de Montferrand, a laissé en place un véritable conservatoire de la civilisation médiévale, suite à l’abandon des cultures et à la non récupération des matériaux de construction en raison de l’éloignement des nouveaux habitats.
Avec l’aimable autorisation de Pierre-Yves Genty. _ Dactylographie : Sylvie Rouquette.
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[1] Nous soulignons ici le très haut intérêt de cette ferme tant au plan scientifique que dans le domaine des possibilités de mise en valeur, compte-tenu de l’excellent état de conservation, de la rareté du type de structure et du cadre paysager exceptionnel du secteur du Pic St-Loup, où une dizaine de vestiges médiévaux, plus ou moins pittoresques, pourraient être intégrés dans quelque projet culturel que ce soit.
[2] Hamlin (F. R.). op. cit.