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lundi 21 septembre 2009, par
Souvenez-vous, c’était en mai 2005. Il pleuvait des chenilles. Normal, pour le 7 mai, jour de mon mariage avec Dominique, mariage d’un entomologiste…
Le Bombyx disparate, n’est pas un papillon spectaculaire. Le mâle est brun roussâtre, avec sur
l’aile antérieure, quelques taches plus claires alignées. La femelle est beaucoup plus grosse
que le mâle et de teint plus clair, parfois presque blanchâtre. Les ailes étant striées de
quelques veines brunes. Le dimorphisme sexuel est considérable chez les imagos (d’où le
nom de l’espèce « dispar » en latin, disparate en français). Le papillon mâle, aux antennes
bipectinées, est brun, svelte, bon voilier. La femelle, blanche, avec un gros abdomen, ne vole
en principe pas, sauf dans les populations de type "asiatique" (cf. ci-dessous).
De l’été au printemps suivant, l’espèce signale sa présence par ses pontes, plaques ovales
clair, de quelques centimètres et de grand diamètre, accolées au tronc ou cachées.
Les chenilles, très velues, sont caractérisées par des taches de couleur (une étoile crème, des
verrues bleues et d’autres rouges) sur un fond beige marbré de taches foncées variables mais
symétriques.
La chrysalide est un brun roux satiné, à peu près glabre. Elle est accrochée aux aspérités du
liège dans un filet de soie très lâche.
C’est une espèce dite monovoltine, c’est-à-dire qu’elle n’a qu’un cycle de reproduction par
an. L’individu passe la majeure partie de sa vie sous forme de larve formée, en arrêt de
développement dans l’œuf. Seules les chenilles - dont la croissance prend environ 2 mois -
s’alimentent. Heureusement !
La ponte et l’œuf
La ponte est réalisée, le plus souvent très rapidement après l’émergence. Parfois le délai entre
l’émergence et la ponte ne prend que 10 heures, accouplement compris.… A noter que cette
célérité est souvent le fait d’insectes qui ne s’alimentent pas à l’état adulte. Ils n’ont comme
carburant que ce qui provient de la chenille via la nymphe.
La femelle dépose ses œufs par paquets d’une centaine à mille deux cents sur les branches et
les troncs d’arbres, mais on peut les trouver sur n’importe quel endroit abrité. La motricité
réduite de la femelle, fait qu’elle pond bien souvent là où elle est née, ou pour le moins à peu
de distance. Les oeufs sont déposés sans véritable ordonnancement, sur une épaisseur variant
d’une à trois couches.
Au moment de la ponte, les œufs sont couleur chamois mais ils se décolorent au cours des
mois d’hiver. L’œuf est la forme hivernale de l’insecte. Il peut supporter le gel sans problème
et au plus l’hiver aura été froid, au plus vite les œufs éclosent aux premiers rayons chauds du
soleil printanier. Six à huit mois plus tard, les œufs écloront et donneront naissance aux
chenilles.
Avant d’abandonner ses œufs, la femelle les recouvre de poils qu’elle prélève au niveau de son
abdomen. Beaucoup de prédateurs trouvent ces poils irritants, ce qui assure ainsi une certaine
protection.
Le développement embryonnaire est rapide, mais la jeune chenille va rester cloîtrée dans son
oeuf durant les trois quarts de l’année, et en l’occurrence, de juillet à mars-avril . A noter que
ce laps de temps résulte de la conjugaison, d’une période d’estivation suivie de l’hivernage.
La chenille
Au printemps, les jeunes chenilles des premiers stades, très velues et très légères, ont la
particularité de pouvoir se laisser transporter par le vent sur de longues distances. D’où les
« pluies de chenilles ». C’est le mode de dissémination de l’espèce, la femelle ne volant pas.
Dès le 2 stade, les chenilles seront très voraces et polyphages (elles peuvent se développer
e
sur plusieurs espèces de végétaux ; cf. plantes hôtes).
L’éclosion succédant au débourrage des feuilles, elle va très vite "passer à table". Au départ
elle ne mange que la partie superficielle des feuilles, du moins quand ces dernières sont dures,
mais dès le second stade larvaire, la feuille est attaquée sur toute son épaisseur. Le
développement est rapide, de l’ordre de deux mois, et à terme les chenilles atteignent une
taille conséquente, et c’est encore plus vrai pour les futures femelles.
Outre sa voracité, la chenille de Lymantria dispar se caractérise par sa vélocité, et son côté
"vadrouilleur". Le soir venu il est par exemple aisé de la voir arpenter les troncs des arbres
qu’elle colonise, les allers et venues se faisant au gré de fils conducteurs qui finissent par plus
ou moins "tapisser" l’écorce, quand la population est suffisamment nombreuse.
La pilosité des chenilles est à la fois dense et très raide, mais non urticante . La manipulation
ne pose pas de problème, mais le contact très "rêche" fait qu’on peut parfois ressentir de très
ponctuelles sensations de "piqûres", notamment avec les grosses chenilles, d’autant qu’elles
sont vigoureuses, se débattent volontiers, et se cramponnent de surcroît fortement. La
coloration générale peut sensiblement varier, mais de très typiques "verrues" sont constantes
et caractéristiques de l’espèce. Présentes sur tous les segments, elles sont bleuâtres sur les
premiers, et rouges à compter de celui portant la première paire de "fausses pattes", c’est-à-
dire de ventouses.
La chrysalide
Au mois de juin, les chenilles vont se nymphoser pour former une chrysalide en se laissant
pendre aux branches par un fil de soie. Elle s’entoure d’une sorte de "résille" ou "filet de
sécurité", extrêmement rudimentaire, tout en s’amarrant au support via les griffes du crémaster
(organe en forme de pince situé à la toute extrémité de l’abdomen). Ce semblant de cocon est
souvent tissé à même le tronc de l’arbre nourricier, par exemple dans une anfractuosité de
l’écorce, ou encore entre deux ou trois feuilles ou branchettes.
La chrysalide est un brun roux satiné, à peu près glabre.
L’adulte
Bien que très normalement ailée, la femelle est incapable de voler, et elle se traîne assez
péniblement tant son abdomen bourré d’oeufs est volumineux, et bien sûr pesant. La femelle
est beaucoup plus grosse que le mâle. L’envergure alaire des femelles atteint 55 à 60 mm. La
femelle, blanche, avec un gros abdomen, ne vole en principe pas, sauf dans les populations de
type "asiatique".
Le papillon mâle aux antennes bipectinées, est brun, svelte. Nettement plus petit que la
femelle, son envergure est de l’ordre d’une quarantaine de millimètres. Le mâle est bon voilier,
et son vol zigzagant est observable de jour, d’où le nom de "Zig-zag" donné à Lymantria
dispar par les Suisses. La recherche du partenaire sexuel s’avère souvent pure formalité,
d’autant que les femelles vierges émettent de très attractives phéromones sexuelles, et que les
deux sexes ne sont jamais très éloignés eu égard à la concentration de l’espèce.
Comme bien d’autres espèces de papillons de nuit, la durée de vie des adultes est très brève
d’autant qu’ils ne s’alimentent pas. En d’autres termes le mâle meurt après la copulation. Quant
à la femelle, elle meurt peu de temps après la ponte.
L’espèce est très polyphage. La liste des espèces végétales dévorées par les chenilles
comporte plusieurs centaines de noms, dont ceux de très nombreux arbres des régions
tempérées : feuillus forestiers - avec les Chênes ( Quercus ) en premier lieu -, feuillus fruitiers -
les Prunus - et feuillus d’alignement ( Betula, Crataegus, Larix, Malus, Populus,
Salix,
Ulmus ). et conifères - du Mélèze au Pin de Monterey, Picea ,
Le Bombyx disparate est présent en Europe de la côte ouest jusqu’à l’Oural. Sa limite
septentrionale va du centre de la Suède à Moscou. Au Sud, il est présent dans tous les pays
d’Europe méditerranéenne, y compris la Corse, la Sardaigne et la Sicile, et en Afrique du
Nord. Sa limite en altitude correspond à celle des peuplements de chênes. Cette espèce a été
introduite en Caroline du Nord en 1993. Il a fallu dépenser 19 millions de dollars pour
l’éradiquer dans un délai de quatre ans.
Origine
L’espèce est originaire du Japon et de Corée. Au XIX siècle, elle était présente en Russie, en
Chine du Nord, en Europe balkanique et de l’Ouest.
En 1869, un expérimentateur audacieux, Léopold T ROUVELOT , l’introduisit, depuis la France,
aux Etats-Unis, à Medford dans le Massachussetts. Dans ce pays, le « Gypsy Moth » est
devenu le ravageur forestier le plus coûteux.
Au début du XX siècle, des pullulations de Lymantria dispar inquiètèrent les forestiers
d’Algérie et du Maroc.
En 1991, on détecte l’intrusion, sur la côte est du Canada à proximité de Vancouver, de
l’Asian « Gypsy Moth », venu par cargo de Russie orientale ; cette population américaine
diffère de celles issues des élevages de T ROUVELOT notamment par une voracité supérieure et
la capacité qu’ont les papillons femelles de voler.
Peu après, on remarque en Europe que les défoliations par le Bombyx disparate touchent des
forêts où le ravageur ne s’était jamais manifesté en masse. Pour beaucoup, ces pullulations
pourraient s’expliquer par l’invasion de l’Asian « Gypsy Moth » en provenance de l’Est, et la
plupart des efforts des entomologistes forestiers portent désormais sur la caractérisation et la
différenciation des races.
À l’heure actuelle, un consensus semble se dégager sur le schéma suivant : l’Europe héberge
des populations de Lymantria dispar d’identité génétique variable avec, à l’Est, une plus forte
proportion de gènes « asiatiques » qu’à l’Ouest ; parmi ces gènes, certains s’expriment plus en
période de culmination et l’on voit ainsi, par exemple, des femelles voler. Ce phénomène,
toutefois, n’est pas une nouveauté et des vols de femelle de Bombyx disparate ont été jadis
notés en Europe orientale (Finlande). Les chenilles et les papillons aux caractéristiques
inhabituelles, vus lors des gradations récentes en Europe ne proviennent pas d’invasions à
partir de la Russie mais expriment des variantes du patrimoine génétique des populations
locales. Les « nouveaux » Bombyx disparates ne sont pas des immigrants indésirables et les
pays européens n’ont pas à instaurer de mesures pour empêcher l’introduction des éléments
asiatiques de l’espèce.
Aux Etats-Unis en revanche, deux types de populations sont présents : celui de l’Ouest, issu
des individus importés par T ROUVELOT d’Europe de l’Ouest (mais qui s’est répandu depuis
jusqu’à la côte pacifique) et celui de l’Est, issu de Russie. L’un et l’autre sont issus d’un tout
petit nombre d’individus, et l’effet de goulot d’étranglement confère à la génétique de ces
populations des caractéristiques particulières.
Les causes des fluctuations des effectifs en un même lieu (dynamique des populations) sont
variées :
Lors de ses pullulations, occasionnelles ou cycliques selon les endroits, ses chenilles
provoquent au printemps des défoliations complètes qui peuvent s’étendre sur des dizaines de
milliers d’hectares. Le grouillement des chenilles est très spectaculaire et ne laisse pas
d’inquiéter. En certains endroits, l’action des chenilles est même bruyante. En fait, beaucoup
d’arbres supportent cette attaque mais des défoliations répétées peuvent faire péricliter des
forêts.
Le problème est que cette espèce est en quelque sorte, pour le moment, "imprévisible", du fait
de l’absence de véritables "cycles", mais aussi en raison de la dynamique de ses parasitoïdes
ou prédateurs, sans parler des conditions climatiques du lieu ou du moment. Il s’ensuit que
Lymantria dispar peut pulluler dans une région donnée, puis s’y faire oublier des années
durant, et entre temps apparaître en masse là où on ne l’attend pas vraiment.
Concernant la défoliation, la Nature a tôt fait de réparer le mal, et en l’espace d’une paire de
mois les bourgeons dormants se sont en quelque sorte réveillés, donnant naissance à un
nouveau feuillage, souvent plus clair et moins coriacé. En 1985 les feuilles de chênes verts de
repousse n’ont pas été vernissées. Cette repousse "tirant" évidemment sur l’arbre, sa
croissance et le cas échéant sa fructification s’en trouvent souvent compromises. Bien entendu
si cette défoliation se répète, ou si elle affecte des arbres âgés ou affaiblis, ou encore si un
évènement climatique se surajoute (sécheresse par exemple) les arbres peuvent rapidement
dépérir, et même périr tout court.
Les forêts européennes et nord-africaines suscitent beaucoup d’inquiétudes et les réseaux de
surveillance comme les simples observateurs enregistrent des dépérissements. Les causes,
lorsqu’on les connaît, sont multiples et aucune perte d’arbres n’a jamais pu être imputée au
Bombyx disparate seul.
Les dégâts du ravageur augmentent d’Ouest en Est et du Nord au Sud de l’Europe. La zone la
plus atteinte est la péninsule des Balkans où les pullulations se succèdent environ tous les 6-8
ans et durent 4 ans (2 ans de prolifération suivis de 2 ans d’effondrement). Dans cette région,
le climat est optimal, avec des températures suffisamment élevées et une humidité du sol
faible. La fréquence des pullulations est limitée exclusivement par des facteurs biotiques
(complexe entomophage, vitesse de récupération de la plante-hôte...). Ailleurs, de telles
conditions climatiques sont occasionnelles et l’intervalle entre deux pullulations est plus
grand.
Ils sont nombreux, mais eux aussi trop souvent victimes des "pesticides", d’où une moindre
efficience. En règle générale il s’agit d’insectes parasitoïdes (Hyménoptères et Diptères), et
sans entrer dans le détail des espèces concernées, sachez que les oeufs, les chenilles, et les
chrysalides, sont susceptibles d’être parasités, au gré de "prédateurs" généralement spécialisés.
Bien entendu il est d’autres prédateurs très voraces, qu’il s’agisse des oiseaux insectivores
(mésanges, rouge-gorge, etc...), des chauves-souris, ou encore des araignées. Lors de la
pullulation de 2005 à Lauret, les mésanges, fort bien nourries, ont eu une portée
supplémentaire.
Compte tenu du caractère quelque peu aléatoire des invasions, les éventuelles populations de
Lymantria dispar font l’objet de surveillances de la part d’Organismes tels que l’O.N.F.
(Office National des Forêts), ou l’I.N.R.A (Institut National de la Recherche Agronomique),
mais surtout de la part du D.S.F. (Département de la Santé des Forêts). Ce dernier Organisme
traite en effet de la détection et du diagnostic des problèmes phytosanitaires des forêts, et pour
ce faire, il dispose d’un réseau conséquent d’agents relevant des Services Publics ou privés,
qui ont en charge des centaines de sites d’observation, en quelque sorte "types", c’est-à-dire
faisant référence. Des seuils, basés par exemple sur le relevé des pontes (estimations à
l’hectare), permettent d’apprécier le niveau d’infestation, et le cas échéant de définir
l’opportunité ou non d’une intervention.
Les forestiers surveillent les fluctuations d’effectifs et déclenchent des traitements quand
nécessaire, en privilégiant l’emploi d’un biopesticide, ou en ayant recours à des insecticides
spécifiques des larves d’insectes comme le diflubenzuron (perturbateur de la mue). Le
piégeage de masse avec les pièges à phéromones sexuelles est aussi dans certains cas mis en
œuvre. Les virus sont parfois employés mais restent chers à produire.
Comme pour les autres espèces défoliatrices (Cul-brun et Processionnaires), la lutte
microbiologique prévaut (en principe !) sur le chimique pur et dur, et l’agent le plus souvent
utilisé est le classique Bacillus thuringiensis (B.t.), épandu par voie aérienne (hélicoptère, ou
petit avion spécialement équipé). Le Bacillus thuringiensis est une bactérie entomopathogène
(pathogène pour les Insectes), considérée comme sélective, car ne s’attaquant en principe qu’aux chenilles. Reste que toutes les espèces de chenilles en pâtissent, y compris les non
nuisibles, ce qui paupérise toute la faune des Lépidoptères.
La lutte biologique "classique" a mobilisé et mobilise toujours des équipes de chercheurs, qui
se consacrent surtout actuellement à un champignon du groupe des Entomophthorales,
Entomophaga maimaiga ..
Les pullulations récentes, avec femelles volantes, chenilles plus voraces et mortalités d’arbres
ont remis le ravageur au premier plan de l’actualité de la protection des forêts et stimulé
fortement les travaux de recherche. De ce fait, le Bombyx disparate est parmi les insectes les
plus étudiés aussi bien en science fondamentale qu’appliquée et ce, dans les domaines de la
régulation de la mue, de la vision larvaire, des phéromones, des maladies d’insectes, des
insecticides, de la lutte biologique, etc. et « pour lui-même », c’est-à-dire pour la génétique, la
diversité de ses populations, sa dynamique des populations, sa polyphagie et son
polymorphisme.
Lymantria vient du grec et signifie : destructeur.
Les mâles et femelles de ce papillon sont si dissemblables, qu’ils paraissent appartenir à des
espèces totalement différentes, d’où les dénominations de " dispar " et "disparate". Cette
différence se caractérise par un dimorphisme sexuel très prononcé, portant pour l’essentiel sur
la coloration et le fait que les femelles ne volent pas ou peu pour la forme européenne.
Lymantria dispar relève de la famille des Lymantriidae, laquelle est représentée en France par
une vingtaine d’espèces.
Là où des millions de chenilles sont nécessaires pour anéantir une forêt, un seul mégot mal
éteint suffit !
Amis fumeurs qui visitez cette page, merci à vous de ne jamais l’oublier !
Article original (2009) sur le site des Lauriers assoc.leslauriers.free.fr.
Les Lauriers dans Loupic : Association Les lauriers