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mercredi 18 février 2009, par
Ensuite, si vous observez plus attentivement le lit, quelquefois très large, vous vous émerveillerez devant les innombrables cascatelles de tuf qui çà et là de par leur disposition et leur agencement harmonieux créent une multitude de petits bassins, sorte de « gours » qui invitent à la baignade. Certains, d’apparence tranquille, cachent cependant quelques remous, et notamment le pouvoir étrange d’absorber comme une éponge une partie de l’eau qu’ils contiennent. Et c’est bien là tout le problème de cette rivière. Petit à petit, et durant son long chemin vers l’Hérault, le calcaire sur lequel elle circule et qui renferme de nombreuses fissurations et crevasses, et qui donc est très perméable, détourne ses eaux vers un immense réseau souterrain. En termes hydrogéologiques, on appelle ce phénomène une capture. Intrigués par cette disparition subite des eaux sous terre, des spéléologues ont, en 1953 (Paul Dubois), procédé à une expérience de traçage, c’est-à-dire à la coloration des eaux perdues. Un colorant, appelé la fluorescéine, inoffensif pour le biotope, a permis de localiser quelques kilomètres en aval de l’Hérault (à 11 km 500 exactement) et à l’extrémité Sud du causse de la Celle, la restitution de la magnifique teinte verte de ce puissant colorant, à la résurgence des Cent Fonts.
Il ne vous faudra donc point vous étonner si à votre arrivé au pont de Vareilles, vous trouvez çà et là, et dans le lit à cet endroit caillouteux de la rivière, que quelques misérables flaques d’eau éparses… sauf si, bien entendu, vous effectuez cette balade en période de hautes eaux.
La Buèges, cette rivière qui vous enchante et que vous longez maintenant depuis plus de deux kilomètres depuis Saint-Jean-de-Buèges disparaît donc sous terre progressivement et cela sans même que vous vous en aperceviez. Elle vous abandonne, fatiguée semble-t-il sur son chemin désormais trop long vers l’Hérault, pour emprunter un raccourci, une dérivation aisée qui lui est offerte par le cavernement des calcaires du causse de la Celle qui lui offre un meilleur parcours.
Ainsi, l’histoire de cette rivière, déjà bien longue depuis le début du creusement de sa gorge, continue son inéluctable chemin à travers les âges. Un chemin désormais livré à son nouveau destin souterrain, pèlerinage vers ces sources et ce monde minéral souterrain obscur et mystérieux qu’elle a tout juste quittés il y a seulement moins de huit kilomètres au sein du cirque du Méjanel.
Lorsque le chemin aboutit dans une grande dépression, nous sommes arrivés au pont de Vareilles. Lieu stratégique s’il en est, puisque les gorges ici estompées l’instant d’un ancien méandre aujourd’hui cultivé, reprennent de plus belles dans une sauvagerie quelque peu différente. Nous sommes au débouché d’une vallée au sein de laquelle s’allonge le petit ruisseau de Boisseron, un affluent parmi tant d’autres de ce secteur, et dont la particularité est d’avoir quant à lui franchi le Caussounel. Ce que la Buèges n’a pu réaliser, ce ruisseau originaire des pentes de la Séranne l’a réussi en franchissant témérairement ce dernier, affouillant et incisant les superbes plissements de la cluse de Saint-André-de-Buèges.
Nous ne conseillons pas à ce niveau de la balade de poursuivre par les gorges, mais de traverser le pont de Vareilles pour reprendre le chemin qui longe l’autre rive de la Buèges. D’une part, parce que le chemin aval, peu évident à suivre et qui parfois se transforme en sentier, aurait tôt fait de vous égarer, et d’autres part en raison de l’impossibilité ensuite de boucler pour revenir sur vos pas. Notre visite des gorges, qui défilent encore sur quelques kilomètres vers l’Hérault et le hameau d’Embougette, s’arrêtera donc à ce niveau.
Bien que n’étant pas située dans les gorges que nous visitons, cette source, ou plutôt résurgence, puisqu’elle restitue les eaux de la Buèges enfouie, apparaît en bordure de l’Hérault quelque onze kilomètres à vol d’oiseau au sud-sud-est des gorges de la Buèges. Dans un repli discret et à la base d’une retombée du plateau du causse de la Celle entaillée par de vastes ravins, une dizaine de petites sources naissent au contact du fleuve éparpillées sur plusieurs centaines de mètres. Les « Cents Fontaines », entre autres apports réguliers de la Buèges,
libèrent lentement à l’étiage (basses eaux) les eaux générées par les nombreuses cavernes du causse. Lors des crues, le processus, extrêmement simple de ce réseau souterrain est celui d’un vaste siphon, qui par effet de chasse restitue une grande partie des eaux de cette rivière enfouies en amont. Ce ne sont plus alors de petites fontaines éparses qui coulent alors à la source, mais un véritable torrent de plusieurs mètres cubes qui jaillit d’une grotte située à une cinquantaine de mètres du fleuve. C’est dans cette dernière que des plongeurs spéléologues (F.Vasseur puis E. Second) ont exploré en 1993 un vaste siphon et atteint la profondeur fantastique de -93 mètres au-dessous du niveau de l’Hérault.
Ces eaux perdues empruntées à la Buèges, et qui transitent sous terre, se déplacent de 12 à 33 mètres environ par heure. Leur temps de parcours est estimé en moyenne entre 565 et 686 heures pour parvenir à la source où elles sont restituées. Ces données sont celles d’une expérience de coloration, effectuée par le BRGM dans le cadre d’une étude hydrogéologique de cette source, et qui confirme celle obtenues par les spéléologues, (P. Dubois le 30 juin 1955).
Entre autres curiosités de ces gorges, hormis celles qui touchent à ses aspects géologiques et à son caractère sauvage et bucolique, il en est une, fruit du labeur humain et de l’architecture romane, qui ne doit pas échapper au visiteur.
Un petit détour vers le petit village de Saint-André-de-Buèges et de sa superbe chapelle du XIe siècle s’impose. Il est conseillé de vous y
rendre après cette balade directement en voiture à partir de Saint-Jean-de-Buèges par la route D1, et non par celle du hameau de Vareilles (Direction Brissac). Ceci vous permettra de mieux prendre votre temps pour contempler ce monument d’une pureté de lignes exceptionnelle, discrètement retiré à l’abri des regards derrière la cluse de Saint-André.
Citée dès 804, San Andree de Roha (Gallia Christina, 804), San Andrea de Buia (cartulaire de Gellone) dans le comté de Melgueil, fut un prieuré dépendant de l’évêché de Maguelone, placé sous tutelle du pape en 1085. Dans un temps redevables aux comtes, les évêques y concentrèrent leur pouvoir spirituel et temporel à partir de 1215.
On y retrouve les éléments d’architecture typiques de l’art roman apparu en Languedoc à la fin du XIe siècle sous l’influence des évêques de Maguelone : étagement de trois volumes nef, travée de chœur, chœur, soubassement saillant, bandes lombardes, corniche moulurée, ici d’un listel et d’un cavet.
Elle possède cependant de ces singularités qui rendent son édifice encore plus attachant.
Son plan est articulé autour d’un axe brisé, l’axe de la nef n’étant pas celui de l’abside. Ceci est particulièrement net au niveau de la baie axiale qui est décentrée vers la droite, de la travée de chœur asymétrique plus large côté cour avec trois arcatures, que côté cimetière (deux arcatures). A l’intérieur, la baie latérale sud est plus proche du pilier que celle située au nord.
A voir : Vierge en bois doré du XVIIe, Christ en ivoire du XVIIe, antependium du XVIIe, intérieur badigeonné, abside en cul de four, bandes lombardes, oculus percé dans l’arc triomphal, nef à trois travées plein cintre. Saccagée par les protestants en 1562 et 1703.
Perché sur son piton rocheux, le château de Baulx, (localement dénommé le « Tras Castel ») surmonte et domine le village de Saint-Jean-de-Buèges. La première construction que vous verrez en arrivant par la route du causse et dès l’entrée du village est la tour de guet (restaurée) du XIIe siècle. L’ensemble des bâtiments dont elle fait partie avait été établi pour protéger la baronnie de Pégairolles, seigneurie locale dont dépendait le village de Saint-Jean-de-Buèges. Poste de surveillance, agrandi au XIIIe et XIVe siècles, le château se
dote d’une enceinte avec meurtrières, d’une citerne et d’un magasin qui suffisent à abriter une simple garnison. De 1593 à 1848, ce dernier passe entre les mains de divers propriétaires dont le seigneur de Cambous et la famille de Turenne. En 1703, il sert de refuge aux habitants du village terrorisés par les camisards qui envahissent la vallée. En 1749, commence sa longue période de dégradation, on l’utilise comme bergerie et parc à moutons avant qu’intervienne sa ruine pratiquement totale. Envahi par le lierre et les ronces, menaçant de s’effondrer sur les toits du village, ses ruines se devinent à peine noyées dans la végétation.
En 1987, Joseph Sicard, propriétaire, en fait don à la commune. Aussitôt, un projet de sauvegarde, de recherches d’archives ainsi que des campagnes de fouilles est entrepris. Les fouilles sont placées dès 1990 sous le contrôle des monuments historiques et le concours bénévole d’une association locale très dynamique, « Association des Compagnons de Tras Castel ». Des visites pour le public y sont organisées sous l’égide de l’Office du tourisme.
Cet article est la suite de l’article Les Gorges de la Buèges (1/2)
Publication Initiale : Gazette Economique du Languedoc" n° 10 (1360-61)