A Montcalmès, ce 9 juillet 2004, le vent soufflait fort sur le plateau désert et silencieux. Même les cigales se faisaient discrètes. Je savais qu’après ce village, il n’y avait plus rien jusqu’au fleuve Hérault, une sorte de bout du monde oublié de tous.
Ce village est depuis longtemps déserté par ses habitants. L’abbé Léon Cassan écrivait déjà, en 1901, dans son opuscule sur « Saint-Silvestre-de-Montcalmès ou de Brousses » que le hameau était entièrement abandonné depuis une douzaine d’années. Il ajoutait que les maisons tombent en ruine, les champs sont sans culture et le silence de mort qui règne sur ce plateau est à peine rompu par le champ des bergers ou le bruit de la cognée des charbonniers nomades qui habitent de pauvres huttes dans les bois voisins. Aujourd’hui, c’est encore pire car il n’y a plus ni bergers ni charbonniers mais le silence et le vent donnent toujours le même signe d’étrangeté à ce plateau isolé.
Un autre érudit, l’abbé Emile Bougette écrivait aussi vers 1910, dans son « Histoire de Puéchabon » : Depuis environ vingt ans, Montcalmès est désert, les maisons tombent en ruine.
Plus récemment, en 1999, le chercheur et historien Christian Pioch, dans son ouvrage sur « La septimanie carolingienne et les abbayes bénédictines d’Aniane et de Gellone », rappelait que Montcalmès fut définitivement abandonné à la fin du XIXe siècle, vers 1890, en raison de son isolement et d’un cruel manque d’eau propre à toutes les régions karstiques environnantes.
Les causes de cette désaffection progressive sont anciennes et elles nous ramènent loin en arrière, au VIIIe siècle même, puisque l’abbé Bougette la fait même remonter à la création de l’abbaye d’Aniane :
_ Le hameau de Montcalmès perdit sa prééminence sur la contrée par le fait de l’établissement du monastère d’Aniane mais il garda encore pendant quelques siècles une certaine importance. Cependant sa position retirée, loin de la voie directe qui de la plaine de l’Hérault conduit aux Cévennes, sa situation en un endroit élevé et d’un accès assez pénible, l’ingratitude du sol peu favorable à la culture des céréales, portèrent les habitants à quitter insensiblement ce lieu pour se fixer dans le petit village de Puéchabon, qui, à partir du douzième siècle, alla toujours en grandissant.
Comment ne pas être fasciné par cette ancienneté qui ajoute encore à l’étrangeté du lieu ? Comment ne pas être admiratif devant ces ruines inhabitées depuis plus de cent ans mais qui ont encore fière allure ? Certaines façades sont superbement conservées et certains arcs de soutènement valent bien ceux de sites archéologiques que nous, touristes, allons souvent chercher au bout du monde. Des bergeries ? Oui, sans doute, mais on peut imaginer que les premiers seigneurs de Puéchabon ont vécu ici, du moins avant l’aménagement du castrum de Puéchabon, au XIIe siècle.
On se plait donc à imaginer que certains soubassements soient d’origine médiévale, à l’époque, par exemple, où Raimond de Montcalmès vendait au monastère d’Aniane tout ce qu’il possédait au tènement du Devès, situé dans la paroisse de Saint-Silvestre-des-Brousses, moyennant 50 sous de la monnaie melgorienne.
Un voyage dans le temps, un voyage dans le rêve ... mais qui sait, peut-être que demain Montcalmès reprendra vie. Rien n’est jamais définitif dans un site si beau !
Références :
- Mélanges d’histoire locale, par M. l’Abbé Léon CASSAN, curé de Saint-Guilhem-le-désert, archiviste du diocèse de Montpellier. 1er fascicule : Saint-Silvestre-de-Montcalmès ou de Brousses. Montpellier. Imprimerie de la manufacture de la charité. 1901. Dans ce fascilule de 32 pages, il nous parle de Montcalmès, tel qu’il l’a vu (p. 12-13) : "Aujourd’hui, le visiteur est encore frappé à la vue de ces champs immenses entourés de longues et larges murailles, de ces monceaux de grosses pierres accumulées par la main de l’homme, de ces maisons à un seul étage avec leurs baies en plein cintre, leurs petites voûtes en berceau, n’ayant que très peu d’ouvertures vers le nord, précédées au midi de petites cours entourées de murs solides donnant au hameau l’aspect d’un fort. Ces maisons bâties sur une même ligne forment un rectangle long de 62 mètres et d’une largeur moyenne de 18 à 20 mètres. Deux portes donnaient accès dans les cours, aux deux extrémités du rectangle. La tradition populaire attribue les constructions actuelles du Montcalmès aux Anglais, mais cette légende ne repose sur aucun fondement. Le même auteur donne des détails sur les familles de Montcalmès, au XVe siècle ; Ainsi, p. 13, il écrit : " Au XVe siècle, Montcalmés était habité par les familles COSTE et LAVAL. En 1456, le 6 avril, Guillaume COSTE fait son testament à Montcalmés, en présence de Bernard COSTE, prêtre, habitant Puéchabon, de Pierre BALDIN, prêtre d’Aniane, d’Etienne GALHAC, vicaire de Puéchabon, de frère Raymond Eustache de l’ordre de Saint-Dominique. Ses enfants s’appelaient : Victoire, épouse Pierre CAUSSE, de Saint-Jean-de-Buèges ; Marie, épouse Etienne SERANE, d’Aniane ; Guinète ; Marie ; Béatrix ; Florence ; Jacques, Jean COSTE. Il légua 20 livres à chacune de ses filles et établit ses deux enfants mâles héritiers universels. Il assura à son épouse, Dauphine, la nourriture et le vêtement pendant sa vie, à la condition de vivre veuve, chastement et honnêtement quandiu caste, honeste et in viduitate permanserit. Sa soeur Raymonde COSTE, veuve Pierre TEISSIER, qui habitait Montcalmés, devait être traitée de la même manière, si toutefois elle restait avec les siens. Il disposa de la somme de quatre livres pour ses funérailles et légua aux oeuvres des églises de Saint-Silvestre et de Saint-Pierre, la somme de cinq sous. Le même jour, ses deux enfants Jacques et Jean s’associèrent pour jouir ensemble de leurs biens, en payer les charges et en percevoir les revenus.Ils ne pouvaient disposer en leur particulier au-delà de cinq sous, et au jour de la dissolution de la société, tout devait être partagé à égale part. Si l’un des deux était infidèle au traité et s’il s’éloignait de la maison pour un temps dé:terminé, il n’avait droit qu’à la somme de 20 livres, etc. (HERMET, notaire d’Aniane)"
- Histoire de Puéchabon (Hérault), par l’Abbé Emile BOUGETTE, Membre correspondant des Sociétés Archéologiques de Montpellier et de Béziers, imprimerie des Beaux-Arts, rue de Lergue, Lodève (Hérault), 1950 ; en particulier, p. 2 à 4 pour Montcalmès. Ouvrage posthume terminé et publié par l’Abbé ANTHÉRIEU, curé de Saint-Jean-de-Fos (Hérault). L’auteur écrit, p. 2 : "Dans le territoire actuel de la commune de Puéchabon, qui comprend une superficie de trois mille cent vingt-six hectares et a pour limites du côté ouest la rivière d’Hérault, se trouve, à une distance de quatre kilomètres, sur une colline, le hameau de Montcalmès, qui préexistait à Puéchabon et qui est même plus ancien que la ville d’Aniane." (mais l’abbé BOUGETTE confond le château et le hameau de Montcalmès ; les différences entre les deux sont expliquées dans les deux ouvrages qui suivent)
- Carte archéologique de la Gaule. Pré-inventaire publié sous la responsabilité de Michel PROVOST. Le Lodévois. 34/1 par Laurent SCHNEIDER : Chargé de recherche au C.N.R.S. (UMR 6572) Laboratoire d’Archéologie Médiévale Méditerranéenne, Aix-en-Provence, et Dominique GARCIA : Maître de conférences à l’Université de Provence (Aix-Marseille I), Centre Camille Jullian (UMR 6573 du C.N.R.S.). Diffusion : Fondation Maison des Sciences de l’Homme. Paris, 1998, p. 119 et p. 120. A la page 120, on peut lire, notamment : "Dès le début du XIXe siècle, Léon CASSAN, l’éditeur du cartulaire d’Aniane, avait clairement indiqué que ce hameau [Montcalmès] n’était pas antérieur au milieu du XVe siècle (L. CASSAN. 1901, p. 18) et l’on n’a jusqu’à présent jamais signalé de vestiges archéologiques du haut Moyen Age dans ce secteur."
- Deux seigneuries ecclésiastiques des gorges de l’Hérault. La Septimanie carolingienne et les abbayes bénédictines d’Aniane et Gellone (St-Guilhem-du-Désert), par Christian PIOCH. Cahier d’études anianaises et gellonaises n° 1, juin 1999, notamment, les pages 139 à 142 et 177 à 178. Il écrit, par exemple, p. 178 : "Bien que de construction parfois médiévale pour ses soubassements les plus anciens, le hameau de Montcalmès ne doit pas être confondu avec le castrum dit de Montcalmès, les deux sites constituant des habitats très différents. Le site fortifié donné par Louis le Pieux correspond en effet à une ancienne forteresse en cap barré, vraisemblablement un ancien poste de surveillance celte puis gallo-romain, qui était située dans l’angle sud-ouest du plateau, à 2200 mètres du hameau, à l’entrée même des gorges de l’Hérault, face aux moulins et à la grotte de Clamouse. Le site des gorges est resté habité pendant toute la première partie du Moyen-Age et fut désertifié à une époque inconnue, le hameau se substituant à lui jusqu’à nos jours comme centre d’habitat."
- Carte archéologique de la Gaule. Pré-inventaire publié sous la responsabilité de Michel PROVOST. Le Montpelliérais. 34/3, par Julien VIAL, Doctorant. Diffusion : Fondation Maison des Sciences de l’Homme. Paris, 2003, p. 328 et p. 329 (les fouilles de J. AUDIBERT, en 1959, "sur le causse de Puéchabon, au lieu-dit Montcalmès" : trois dolmens et plusieurs tumulus du premier âge du Fer).
3 Messages