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jeudi 15 septembre 2011, par
- Savez-vous que Pé Lamourgue a disparu ?
Sévère dans son accoutrement noir comme dans son discours, Madame Lacoustou n’est pas une lady à qui offrir des roses pour la St Valentin.
- Evidemment que je le sais puisque c’est mon cousin ! De toute façon, avec ce vieil original toujours par monts et par vaux comme un juif errant, ça devait arriver si en plus il avait un coup dans l’aile. Autant savoir qu’il ne suçait pas de la glace ce mécréant.
- On dit que la brigade de Tréviers le recherche aux alentours du Triadou.
- On dit, on dit, on dit n’importe quoi, vieille bigote, et vous, naïvement, vous avalez toutes les rumeurs du village ! Savez-vous que l’on dit même que Émile, l’exploitant forestier et son fils Jean l’ont aperçu sur le causse de Pompignan. N’importe quoi, oui !... Mon cousin a sûrement disparu aux environs de Cambous en allant rejoindre son troupeau de biques. Voila ce que nous en pensons, nous dans la famille.
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Je ne connais pas Pé Lamourgue. Je n’ai jamais connu Pé Lamourgue et, pourtant, un peu comme l’arlésienne, il fait partie intégrante de mon iconographie de l’enfance. Peut-être, l’ai-je croisé par hasard dans l’une des « traversettes » du vieux Prades médiéval. C’est cela sûrement !... Bref, Pé Lamourgue a bien vécu puisqu’un jour il a disparu tout simplement comme par magie et cette disparition devenait l’évènement de mes jeunes années. D’aucuns situaient sa disparition du côté du pic St Loup, d’autres la situaient aux environs de Claret et d’autres encore l’imaginaient dans les bois du château de Restinclières. L’imaginaire ratissait assez large pour mieux alimenter la rumeur.
D’autres ? Surtout nous les enfants, dès lors que nous jouions à nous faire peur lors de nos sorties en forêt. Bref, en ces années d’avant guerre, la disparition impromptue de Pé Lamourgue était devenue l’événement majeur du petit village de Prades le lez dont le nombre ne dépassait pas 432 âmes. Petit village donc desservi seulement une fois par jour par deux cars pour conduire les voyageurs à Montpellier, ville très lointaine en ces temps où le transport hippomobile et la bicyclette étaient encore très à la mode. Inutile de dire que la terrible côte de Montmaur à l’entrée de la ville valait pour nous le Galibier du tour de France que les Vietto, Bartali, et autres Antonin Magne franchissaient allègrement.
Bref ! Pé Lamourgue avait disparu comme allait disparaître soudainement sans bruit la « Fleurette », simple petit ruisseau gazouillant au pied de la colline de Garastre où Roger Allègre, père de Claude, y cherchait et trouvait parfois de vieux silex plus ou moins bien taillés. Un « hurluberlu » murmurait sous le boisseau la cantonade béotienne !...
Je revois encore la petite mare miroitant sous le soleil de juillet avant de rejoindre, via un dédale de fossés, la rivière toute proche. Soudain, plus rien et nous ne comprenions pas pourquoi la cressonnière voisine se tarissait soudainement. Les oiseaux, dont le chardonneret aux multiples couleurs devaient se poser mille questions, eux aussi. Nous entrions petit à petit dans une logique de disparition en chaîne.
Oui, Pé Lamourgue avait disparu comme allait s’évaporer un peu plus tard « la Fontainette », merveilleux trou d’eau jaillissant au pied du petit sommet de Montauban. J’imagine encore les résidents du voisinage venant y puiser à la pompe une eau fraîche pleine de saveur. L’enfant un peu plus mûr que je devenais commençait à comprendre que les hommes y étaient pour quelque chose.
« La Fleurette, « La Fontainette », j’aime encore me souvenir de ces noms donnés depuis longues dates par nos ancêtres. Tout danse comme une carmagnole dans ces appellations ! Pour eux assurément, l’eau de ces sources était une des magies de la vie courante. Elle avait un sens, elle avait son utilité pour le présent et les générations en devenir. Des jeunes qui de plus en plus découvraient le secondaire et son ouverture intellectuelle sur le monde. Une ouverture, certes, vers la connaissance mais sans le bon sens ! Là était le danger et nous y entrions de plein pieds.
Pé Lamourgue avait disparu comme allaient disparaître en fanfare les deux « Cantarelles » , petits ruisseaux tonitruant les jours de pluie comme des oueds de l’Atlas. C’était soudainement l’inondation dans les rues basses du bourg d’autant que nous y établissions des barrages. Nous n’avions pas la mer mais nous avions nos Cantarelles pour y faire flotter nos « navires » en écorce de pin. Là aussi, les sources devenaient soudainement muettes même les jours de grand orage. Nous savions désormais que la ville de Montpellier, insatiable goulue se servait au plus profond de nos garrigues à même les nappes voire même plus profondément. Nous pénétrions mois après mois dans les proches « trente glorieuses » de nouveaux besoins de plus en plus absolus.
Nous étions sans aucun doute dans une spirale du « toujours plus » en eau mais par bonheur il nous restait notre Lirou, merveilleuse rivière où nos lavandières, telles des griots boxant leur tam-tam, venaient en cadence plonger leur battoirs sur de larges pierres plates sous le regard curieux d’agrions bleutés aux ailes transparentes. Puis satisfaites de leur labeur, repartaient dans un grincement de brouette préparer le repas du soir. Je n’avais pas encore le regard malicieux des anciens mais il semble me souvenir que quelques gourmands de la chose venaient roder aux alentours. Nul doute que leur cour s’avérait positive pour certains. C’était bien le temps des libellules.
Oui, c’était cela notre Lirou d’autant que nous y apprenions tous à nager dans son gour sans nous préoccuper de la sécurité ou de la présence d’un quelconque surveillant de baignade. C’était la liberté la plus totale au milieu de bancs de poissons dansant leur sarabande d’argent : Cabots, ombres, barbots, gougeons, etc… faisaient la joie des pécheurs locaux. Nous jouissions d’un contact permanent avec la nature.
Puis soudain, jour après jour, notre beau Lirou perdait de son volume et de sa majesté. Je savais désormais que l’assèchement sournois du sous-sol de nos garrigues le transformerait peu ou prou en cloaque un peu moins hideux les grands jours d’orage voire d’inondation.
Enfin, il nous restait le Lez, fleuve côtier nourrissant la plaine. Je revois sa source, belle entre les belles, où comme au pic St Loup, la jeunesse venait s’y retrouver tous les lundis de Pâques. Je revois de grosses anguilles remontant son courant. Je revois nos descentes en barque ou en radeau de joncs fait maison. Nous avions même en son lit notre petite île que nous défendions âprement contre les « envahisseurs » nous bombardant à coup de mottes de terre prélevées dans les vignes surplombant notre « citadelle » . Nous étions vraiment de piètres stratèges pour cette curieuse guerre des boutons. Avec le temps et nos besoins accrus notre Lez n’échapperait pas, lui non plus, à la dégradation de son débit. Je n’ose parler au surplus de sa lente pollution
Ainsi se dilue dans nos mémoires les clichés d’un long séjour sur la planète. Nous n’en sommes finalement que des usagers de passage, voire de simples touristes au délai plus ou moins long selon notre destiné. Ainsi en est-il de la vie et de notre environnement mais qu’allons nous laisser derrière nous ?...
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