Accueil > Viols en Laval > Une ferme fortifiée du causse de Viols : le mas de Calages
lundi 25 janvier 2010, par
Entre légende et réalités
Le mas de Calage(s), l’un des écarts de la commune de Viols-en-Laval, est une magnifique ferme pastorale, jadis fortifiée, mais aujourd’hui ruinée, qui est située à l’écart des grandes routes modernes, à environ 2 900 mètres au sud-est du château de Cambous.
Elle est sise dans les pâturages situés au nord de l’immense bois de Valène, sur un mamelon dominant le plateau, coté 227 m sur les cartes de l’I.G.N.
Pour qui a la chance de visiter les lieux, nombre de vestiges architecturaux montrent que cette ferme était jadis une sorte de riche château, vivant des pâturages des alentours, d’où un important cheptel ovin, et des coupes de bois.
Son isolement aux époques anciennes n’était toutefois que très relatif puisque une ancienne voie muletière, sans doute préromaine, passait 500 mètres au sud de Calages, reliant Viols-le-Fort à Montpellier. Le tracé de ce chemin, encore en usage au XIXe siècle, avant le tracé des routes modernes, est très net sur les plans cadastraux de 1829 visibles sur le site Internet des Archives départementales de l’Hérault. De plus, un autre chemin, venu du château de Cambous, passait juste au nord de Calages, venant rejoindre le précédent chemin un peu plus à l’est du mas, au sud du Puech Estrous.
Hélas, l’histoire de ce vaste domaine pastoral s’étant confondue au cours des quatre derniers siècles, depuis 1584, avec celle du château de Cambous, les textes anciens et mêmes récents qui concernent Calages sont rarissimes, alors même que les rares écrits publiés à son sujet sont erronés.
Aussi, depuis les premiers écrits des spéléologues venus explorer les profondeurs du causse de Viols dans les années 1930, puis à la suite d’un vieil article de 1978 publié dans la revue de St-Martin-de-Londres, La Garrigue, le mas de Calages fait l’objet d’écrits pour le moins emplis d’inepties les plus diverses.
Tout d’abord la notion d’ancienne abbaye, voire de commanderie templière, ce que colportent nombre d’opuscules publiés sur la région de St-Martin-de-Londres, lesquels se contentent hélas de reprendre ce qui fut déjà publié dans les sottisiers du passé et sans effectuer le moindre travail de vérification et de recherche.
Certes, le comté de Melgueil (ou Mauguio) entre dans le patrimoine des évêques de Maguelonne (plus tard Montpellier) dès le début du XIIIe siècle, le restant jusqu’à la Révolution, et Calages devient ainsi un fief épiscopal comme tant d’autres, alors que les territoires voisins de Viols-le-Fort et Saugras sont pour leur part situés dans la juridiction des abbés d’Aniane, depuis l’époque carolingienne pour Saugras et Combajargues (Cournon), ou un paréage du XIVe siècle pour Viols même. Mais quel est le texte ancien qui permet de dire qu’il y eut jadis à Calages une quelconque abbaye, voire une commanderie templière, comme d’aucuns ont pu l’écrire ? Aucun, ni dans les cartulaires d’Aniane et de Maguelonne, ni dans les documents relatifs aux anciennes possessions templières du Montpelliérais ! Et s’il y en avait un, cela sans doute se saurait...
Cette vaste ferme, jadis fortifiée, mais ce n’était manifestement qu’une simple ferme, était en 1550 la propriété, sans doute par mariage, de François de Saint-Félix, seigneur de Clapiers, comme il appert du compoix du Val de Montferrand, un document fiscal qui est l’ancêtre du cadastre moderne.
Elle se composait alors de plusieurs corps de bâtiments. Le mas de Calages proprement dit, de 58 cannes de superficie, soit 232 m², plus le mas attenant de Félix, beaucoup plus vaste, puisque mesurant 107 cannes, soit 428 m², cours incluses. Le tout comprenait un pigeonnier, alors découvert, c’est-à-dire ruiné, et constituait avec les terres des alentours un bien roturier, et non un bien noble, c’est-à-dire que cette propriété, quoique appartenant à une famille noble, les Saint-Félix, ne jouissait d’aucun privilège d’exemption de la taille, l’impôt foncier dû au roi, contrairement aux « biens prétendus nobles » qui ne payaient pas annuellement cet impôt, mais qui subissaient de temps à autre une fiscalité particulière.
On ne retrouvera ainsi, jusqu’en 1789, aucune déclaration de « biens prétendus nobles » concernant Calages, tout comme pour Cambous, une ferme roturière devenue château aux alentours de 1600-1650 mais fiscalement assujettie à la taille.
Par contre, les seigneurs de Cambous disposeront de biens nobles à Argelliers dès les époques anciennes en faisant acquisition de biens du clergé exempts de taille : la montagne du Capouladou (d’où l’actuel Ouradou, l’un des sommets de la Celette), ou le moulin de Figuières. Il en sera de même au XVIIIe siècle quand ils feront l’acquisition du domaine de Saugras auprès des seigneurs de Murles, lesquels le tenait de l’Eglise.
S’agissant de la vieille voie romaine qui était évoquée dans l’article de 1978, on est en plein délire. Si la voie romaine (en fait une voie préromaine, dite de Vieille-Toulouse) passait au nord du Pic St-Loup, que viennent faire ensuite Cazevieille, le Relais des Chênes et Calages dans tout cela puisque il s’agit d’habitats situés au sud du pic ? Le proche chemin actuel qui relie Pratx et Lavit au Relais des Chênes n’est d’ailleurs qu’une œuvre du XIXe siècle.
Certes, la voie celte de Vieille-Toulouse reliait jadis Nîmes à Toulouse par l’arrière-pays héraultais. Venue de Sommières et se faufilant entre Pic St-Loup et Hortus, elle gagnait St-Martin-de-Londres puis Viols-le-Fort, Puéchabon, etc. Son itinéraire entre St-Martin et Viols est facile à reconstituer et n’empruntait bien évidemment pas la route moderne et encore moins les environs de Calages. Cette route antique, conçue pour les bêtes de somme, et donc ferrées (d’où son nom de cami ferrat dans certaines communes, dont Puéchabon) quittait St-Martin pour rejoindre ensuite l’actuel château de Cambous, la ferme de Peyres Canes puis Viols. La preuve en est dans le compoix de 1550 du Val de Montferrand, qui appelle « chemin de Vuelh (Viols-le-Fort) à Sommières » le chemin qui jouxte Cambous et file vers le nord, ainsi que dans les plans cadastraux anciens. On se rapportera pour ce tracé au cadastre de 1829 (site des Archives de l’Hérault) où ce chemin est désormais appelé chemin de Viols et de Cambous à St-Martin. On est donc bien loin des vagues de pèlerins et autres usagers des routes qui auraient déferlées jadis sur Calages…
Mais revenons-en aux années 1550. Sans doute ruinée au cours de la guerre de Cent-Ans par les fameux routiers, Calages n’offrait guère d’intérêt pour son propriétaire, au demeurant devenu magistrat et capitoul à Toulouse, et c’est ainsi qu’en 1584 le bien, mais aussi les droits féodaux de l’évêque, passent à Antoine de Cambous, ou de Cazarils.
Les biens d’Antoine de Cambous passant ensuite à un de ses neveux de la famille des Ratte, le devenir de cette ferme va désormais se confondre, jusqu’en 1920, puis à nouveau en 1928, avec celui de la ferme puis château de Cambous et donc avec l’histoire des propriétaires successifs de Cambous.
Le domaine de Cambous, de 22 km² en 1914, comporte alors depuis bien des siècles quatre grandes bergeries : à Cambous même, mais aussi le mas de la Pourcaresse (commune de St-Martin), le mas de Lavit et le mas de Calages (tous deux communes de Viols-en-Laval), généralement loués avec Cambous à différents fermiers.
Le domaine de Calages, proche de Lavit, reste donc inhabité pendant plusieurs siècles, notamment les XIXe et XXe siècles où la chose est certaine, attestée par les recensements, alors que les mas de Lavit et Peyres Canes restent par contre habités jusqu’à des époques récentes. Seule sa vaste bergerie, avec double rangée de piliers et arcatures, reste utilisée depuis le XVIe siècle, avec habitat temporaire des bergers dans les bâtiments avoisinants.
Ceux-ci, largement remaniés au fil du temps, montrent encore de belles ouvertures de type gothique, mais sont sans doute ruinés depuis que les bandes de routiers, au XVe siècle, ont dévasté la contrée, d’où l’érection des murailles d’Argelliers puis de Viols, en 1421-1429. Et ce que l’on aura pu reconstruire ensuite ne résistera pas aux bandes calvinistes en 1570-1630.
Bref, Calages reste pour plusieurs siècles un tas de ruines qui ira en se dégradant et dont se désintéressent complètement les propriétaires de Cambous : les Ratte jusqu’en 1708 ; les filles Roquefeuil, héritières de leur oncle jusqu’en 1762 ; les Vinezac, les Vogüé, les Turenne ensuite. Tout au plus y réaménage-t-on une partie des bâtiments dans la seconde moitié du XIXe siècle quand les environs de Calages sont gagnés par la vigne, de quoi y installer quelques cuves et foudres, un cheval, une charrue, etc., mais nulle famille à demeure.
En 1920, la veuve Leroy-Beaulieu, à qui les tribunaux de la Seine ont cédé les biens acquis en 1914 par son défunt mari, vend l’immense domaine de Cambous en le fractionnant.Paul Pépin (1869-1954), éleveur de St-Vincent-de-Barbeyrargues, achète tout d’abord Calages et Lavit, là où se trouvaient les principales pâtures de l’ancien domaine, rachetant ensuite en 1924 les boisements et pâturages de Cambous, puis en 1928 le château lui-même et les terres arables que l’acquéreur de 1920 (Louis Bloch) avaient entre-temps conservées.
Le 27 février 1920, par-devant Me Maurice Calvet, notaire de St-Martin-de-Londres, se présente ainsi M. Romain Couder, administrateur régisseur, demeurant 10 rue Rigaud, à Montpellier, qui déclare agir au nom et comme mandataire de Mme Louise Jeanne Marcelle Hourblin, propriétaire, veuve de M. Pierre Leroy-Beaulieu, propriétaire, veuve en premières noces et non remariée de M. Pierre Leroy-Beaulieu, de son vivant ancien député et conseiller général de l’Hérault, domiciliée 94 avenue Kléber à Paris, agissant en vertu d’une procuration reçue le 13 février 1920 par Me Henri Couturier, notaire à Paris.
Conformément à cette procuration, ledit Couderc fait alors vente, moyennant 60 000 francs de l’époque, à M. Paul Pépin, propriétaire, demeurant à St-Vincent-de-Barbeyrargues, de deux domaines :
Ces deux domaines, pris ensemble, confrontent au nord le chemin séparant les bois de Cambous et Lavit, à 600 mètres de la pointe de M. Soulas, le champ situé en face de Lavit et comportant une citerne appartenant à M. Pépin. La limite repart du coin de ce champ et va droit au gros chêne situé sur le chemin de Calages. Elle suit ce chemin jusqu’au pied de la montée de Calage et va en ligne droite au chêne qui est sur le chemin de Calages à la route de Ganges à Montpellier. Elle suit ce chemin jusqu’au dernier contour et, de là, se dirige directement au lac situé à 600 mètres de la maison cantonnière. Au levant, elles confrontent la route de Ganges à Montpellier ; au midi, le bois de Valène ; au couchant, le domaine de Cambous appartenant à M. Bloch, à 600 mètres
Comme on le voit, avec près de 300 hectares à lui seul, le domaine de Cambous pouvait faire paître pas mal de bêtes à laine, de l’ordre d’environ 300 à 400 têtes (La famille Pépin possèdera plus de 5 000 têtes en tout en 1929, une fois l’ensemble du domaine de Cambous, hors Pourcaresse acquis). Mais la vigne du siècle précédent n’est pas évoquée, ruinée par les maladies et non replantée.Calages passe ensuite, dans la seconde moitié du XXe siècle, à une petite-fille de Paul Pépin (famille Terrisse-Fourcand aujourd’hui), un premier partage familial intervenant en 1946 entre le fils et la fille de Paul Pépin.
Les cathares ensuite. Que n’a-t-on pas écrit d’inepties sur le catharisme et ses adeptes, au demeurant bien peu nombreux en Languedoc oriental ! Le vaste pigeonnier de Calages, cité en 1550 sous le terme de colombier, ne saurait bien évidemment être rattaché à un quelconque lieu de sépulture. Ce n’est qu’un pigeonnier et rien d’autre. En aucun cas un colombarium au sens mortuaire du terme. Si d’aventure son accès ne se faisait pas jadis de plain-pied, c’est que nos anciens avaient eu l’intelligence, pour éviter l’intrusion des prédateurs (fouines, rats, etc.) dans les pigeonniers, d’aménager des accès en hauteur, à partir d’une échelle escamotable. Aucun souterrain ne relie donc bien évidemment le pigeonnier au corps de ferme, et ce pigeonnier était dit découvert en 1550, ce texte montrant bien que la ferme de Calages n’avait plus à cette époque sa fière allure d’antan...
Enfin, reste le prétendu trésor...
Il est vrai qu’en 1937-1938, un Espagnol est venu chercher à Calages et dans ses environs un supposé trésor. Il explora pour cela des dizaines de cavités souterraines et surcreusa de plusieurs mètres un petit aven situé au bord du chemin d’accès à Calages, en le vidant de son argile et de ses éboulis, lequel garde depuis le nom de « Trou de l’Espagnol », une cavité citée par les spéléologues avec les années 1940 et que nous visitions au tout début des années 1970, dans notre jeunesse, ainsi que la petite grotte qui s’ouvre au cœur même des ruines de Calages.
Nous avons rencontré en 1995, à Viols-le-Fort, un vieillard de 95 ans qui se souvenait avoir aidé à cette époque cet Espagnol dans ses recherches, et qui le vit ensuite disparaître subitement, sans payer ce qu’il devait (nourriture, matériels, etc.). Mais ce n’est certainement pas un quelconque trésor du Moyen-Age que venait vraisemblablement chercher cet Espagnol, un franquiste semble-t-il, du moins à ce que l’on nous disait en 1995.
En effet, les environs de Cambous servirent de 1792 à 1800 de cache à une bande de partisans royalistes, commandés par l’abbé Sollier (alias Sans-Peur), qui se livrait, avec l’aide du curé d’Argelliers (Jérôme Raynal, alias Belle-Rose dans la clandestinité), au « royalisme de grand chemin » en attaquant les transports de fonds républicains qui transitaient entre Lodève et Montpellier via Gignac. Ils raflèrent ainsi plusieurs milliers de francs-or. Si la bande fut démantelée, son chef étant fusillé en 1801 au Vigan, l’argent ne fut jamais retrouvé.
Tout au plus saura-t-on un jour, par l’ouvrage de l’abbé Sarran sur l’abbé Pialat, l’un des multiples religieux traqués à l’époque révolutionnaire dans les garrigues nord-montpelliéraines, que l’une des principales caches de Sollier, au sens de tanière souterraine, se trouvait dans une « grotte du Bois de Valène », sans doute la Baume Vidal puisque aucune autre grotte des environs n’est à même d’abriter aisément une poignée d’hommes et leurs chevaux. Quand Sollier ne séjournait pas impunément à Viols-le-Fort ou à Cambous, avec la complaisance de la population et des principaux notables ou châtelains…
Or, de nombreux religieux, mais aussi de nombreux royalistes gagnèrent l’Espagne dans les années 1790-1800. Notre Espagnol de la guerre civile a-t-il retrouvé, dans un monastère ou en tout autre lieu, un document le mettant sur la trace d’une ancienne cache trésoraire de France ? La chose, quoique restant à prouver, reste fort possible.
Mais de grâce, que l’on arrête de nous bassiner avec les moines, les cathares ou les templiers à Calages, et gardons les pieds sur terre ! Calages, un mas aux fort belles ruines, a une histoire, mais elle n’a pratiquement rien à voir avec ce que l’on nous racontait en 1978 dans La Garrigue...
Il est dommage que d’aussi belles ruines soient aujourd’hui si difficiles d’accès (clôtures diverses), mais c’est-là une autre histoire.
Christian Pioch auteur d’une histoire en 3 volumes et 900 pages sur le château de Cambous, à paraître prochainement (avec résumé dans le bulletin municipal de Viols-en-Laval à partir de décembre 2009)
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