Accueil > Vacquières > Du côté de Vabre
vendredi 26 novembre 2010, par
Vacquières. Calixte se tourna vers la jeune fille qui lui avait pris la main. Elle le regardait avec un petit sourire en coin…
Deuxième épisode : du côté de Vabre
Calixte Vigourous, le forgeron, était devenu un bel homme aux bras musclés, à la poitrine fière. Au milieu de son capharnaüm de cisailles, de pinces, de marteaux, de tenailles et de poinçons, par dessus la masse rouge du foyer et les vapeurs qui s’échappaient des baquets dans lesquels il trempait le fer rougi, son visage apparaissait tranquille et ôtait tout caractère infernal à l’endroit.
Un soir de juin 1894, sa vie bascula. Il s’était rendu en compagnie de quelques amis aux feux de la saint Jean. Ils partaient ensemble au service militaire, le printemps suivant. Calixte s’était amusé, comme toute la jeunesse du pays à sauter par dessus le brasier. Il ne savait pas si c’était sa connaissance du feu, le contact physique qu’il avait avec la chaleur, le fait qu’il pouvait désormais tourner un morceau de métal rouge, à main nue, sans qu’aucune trace de brûlure ne marque sa peau racornie, mais ce soir là, il sauta bien plus haut que tous les autres. Il courait, il passait et repassait au dessus des flammes comme à travers un miroir. Les autres s’étaient arrêtés, fatigués, et bientôt ils ne furent plus que deux à sauter ainsi comme des cabris. Lui, et une jeune fille…
Elle prit la main de Calixte. Elle le regardait avec un petit sourire en coin, elle était essoufflée et de la sueur nappait son front. Une masse de cheveux noirs retenus haut, en chignon, donnait à son visage une élégance et un charme terrible. Mais ce sont ses yeux, semblables à de véritables flaques d’or sombre, qui ravirent le cœur de Calixte. Il reconnut immédiatement la jeune fille comme s’ils ne s’étaient jamais perdus de vue. C’était Finette. Elle aussi l’avait reconnu, dès son arrivée aux feux de la Saint Jean, et elle attendait son regard depuis ce moment-là… Ils allèrent s’asseoir sur le banc, à l’écart et personne ne s’en étonna. Ils avaient tellement participé à la fête. Ils restèrent silencieux, muets. Finette toussotait légèrement alors Calixte ôta sa veste et lui couvrit les épaules. Ils restèrent ainsi jusqu’à ce que les cendres fussent grises. Puis, il la raccompagna jusqu’à sa porte, dans une petite ruelle, derrière l’église. Il la quitta avec regret mais l’obtention d’un rendez-vous pour le lendemain le réconforta.
Il existait à mi- chemin entre Vabre et Vacquières , au bord de la route poussiéreuse, empruntée seulement par quelques carrioles, un poirier sauvage. La route serpentait au milieu des vignes et des friches et l’aire ombragée, dessinée autour du poirier était une halte agréable. C’est là, qu’ils s’étaient donnés rendez-vous, le soir, à la fraîche, quand lui aurait terminé son travail et elle, les occupations multiples qui incombaient aux filles. Sa journée pour la première fois avait paru interminable à Calixte ; les heures s’étaient traînées poussives et ennuyeuses. Maintenant il marchait d’un bon pas. Il longeait le Brestalou, jouissant de la fraîcheur des rives du ruisseau. Il allait bientôt bifurquer sur la gauche et remonter pour rejoindre la route. Devant ses yeux, à une centaine de mètres, il aperçut enfin le feuillage poirier. Il pressa le pas, son cœur battait la chamade. A mesure qu’il approchait, son cœur se serrait, elle n’était pas là ! Quand il fut au pied de l’arbre, il en fit deux fois le tour espérant tomber nez à nez avec elle. C’était la première fois qu’il avait un rendez vous et l’idée qu’elle ne fusse pas là ne lui était pas venue à l’esprit. Il se laissa tomber au pied de l’arbre et appuya son dos contre le tronc rugueux, il ferma les yeux et soupira…
Une petite poire, dure comme un caillou, tomba et lui blessa le front, suivie immédiatement par une salve d’une dizaine d’autres. Calixte se releva d’un bond et se retrouva presque nez à nez avec Finette. Elle était assise sur la fourche de l’arbre. Calixte resta bouche bée devant le spectacle charmant qu’elle lui offrait. Le petit bonnet de dentelle immaculé, posé un peu de guingois sur l’ébène des cheveux faisait ressortir toute la malice de ses yeux. Un ruban blanc autour de son cou soulignait la finesse de sa gorge.
Elle était arrivée en avance. Elle l’avait regardé approcher en cachette. Elle l’avait observé du coin de l’œil tout en cueillant dans sa jupe ces fruits durs, pas vraiment comestibles. Elle riait du bond tour qu’elle venait de lui jouer. Il rit lui aussi se disant que c’était finalement une revanche de bonne guerre après toutes les misères qu’il lui avait faites subir. Il l’aida à descendre. Il sentit pendant quelques secondes son poids, léger comme une plume, reposer dans ses bras. Elle le regardait bien en face maintenant, elle lui parlait comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Ils s’assirent sur le pré, dans l’ombre qui s’allongeait. Tout était matière à discussion. Ils avaient l’impression de vivre là le tout premier jour de leur existence.
Une légende vacquièroise, signée Noirmica, publiée dans l’Hérault du Jour en juillet 2010 en 3 parties :