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Les garçons suivaient les filles, le soir après la classe

vendredi 26 novembre 2010, par Arcaix Thierry

Vacquières. Le poirier de Vigourous, ou la fausse histoire d’un amour vrai. C’est une nouvelle de Noirmica en trois épisodes paraissant le dimanche…
1er épisode - Les garçons suivaient les filles, le soir après la classe

Quand vous sortez du village de Vacquières, et que vous vous dirigez vers le hameau de Vabres, distant de deux kilomètres, vous rencontrez à mi-chemin, sagement rangé sur la gauche de la route, un arbre que tout le monde appelle « le poirier de Vigourous ». Personne ne sait plus qui était ce Vigourous dont le nom est lié à cet arbre comme Philémon à son chêne ou Baucis à son tilleul. L’arbre quoique très vieux dresse encore fièrement ses branches, explose de blancheur au mois d’Avril et nourrit généreusement le sol de ses fruits que personne ne mange. Son tronc ramassé, vrillé dans le sol comme un vilebrequin de menuisier est creux à la naissance des branches. Il est pour les vacquiérois, un repère géographique, une borne, une localisation précise. Tout le monde sait où se trouve le poirier de Vigourous. C’est l’histoire de cet arbre que je vais vous raconter.

Poirier de Vigourous

Tout commence après la guerre de 1870 et la terrible défaite qui la ponctua. On était loin de Paris, on était loin du siège qui avait meurtri la ville et de la terrible répression qui lui avait succédé. La France avait perdu son honneur, lisait-on dans les journaux et surtout une part de son territoire. On rechercha à partir de cette époque, les raisons de cette déroute illogique et inexplicable. La France était essentiellement agricole, peu instruite, par rapport à une Prusse dominatrice. Celle ci ne nous avait pas seulement vaincu par les armes, mais plus encore par la supériorité des connaissances de son peuple. Les lois de 1882, instaurant l’école obligatoire, permirent la création dans chaque village d’une école où garçons et filles purent séparément et d’une façon presque continue(seules les exigences liées au calendrier immuable de l’agriculture furent tolérées) apprendre à lire et à compter.

La carte de France rognée de L’Alsace – Lorraine trônait sur le mur des écoles , au dessus de l’estrade, comme une joue rouge après un soufflet et pour que l’affront ne soit pas enterré, la géographie de la France avec l’étude systématique de ses départements, de ses régions devint un rempart contre l’oubli. Les garçons et les filles se retrouvaient mais dans des classes séparées : les garçons sous la férule d’un maître tout de noir vêtu, hussard de la République, et les filles, sous la coupe d’une maîtresse en robe longue et collet monté, très souvent l’épouse du précédent. Deux univers communs, issus d’un même milieu, séparés arbitrairement et qui cherchaient à se confondre. Les garçons suivaient les filles, le soir après la classe quand elles rentraient à la ferme, ou mieux, épiaient, par dessus le mur de la cour, ce monde féminin.

C’est par dessus le mur de l’école que Calixte Vigourous aperçut pour la première fois Finette Garridel. Au début, il ne la distingua pas parmi tous ces jupons qui virevoltaient mais très vite, elle lui parut étrange avec ses longues nattes qui lui descendaient jusqu’au bas du dos ; ses yeux noirs, en amande, brillants comme des olives, son rire nerveux quand elle devinait, cachés derrière le tronc du platane, un paquet de polissons qui l’épiait, elle et ses amies. Elle n’était pas comme les autres. Elle ne perdait jamais son calme, elle ne s’emportait pas. Combien de fois sentit-elle dans son dos des mains qui l’agrippaient par sa longue chevelure, tirant sur ses tresses comme font les moines appelant leurs ouailles à l’office. Calixte n’était pas le dernier à s’amuser, mais il était surpris par son calme et par sa retenue. Il la regardait s’échapper, remettant de l’ordre dans sa tenue, courant en retroussant élégamment sa robe au dessus de ses galoches. Il restait planté là, au milieu de la rue, stupéfait, comme un petit devant une orange de Noël.

En cette année 1890, Calixte allait avoir quatorze ans. C’était sa dernière année d’école. Après, une place d’apprenti- forgeron l’attendait à Vabres. Il savait lire et écrire, mais juste ce qu’il fallait. Il n’avait pas pu apprendre autant qu’il l’aurait voulu. Il allait regretter les leçons de choses et les expériences que son maître, Monsieur Serpolet, réalisait devant une classe médusée. Le monde lui apparaissait comme beaucoup plus compliqué que ce que ses parents voulaient bien dire. Mais il savait aussi que sa vie était déjà toute tracée : faire son apprentissage et puis peut-être, dans longtemps, avoir sa propre forge… Il se mit au travail. Son patron était un brave homme qui le considérait comme son propre fils et désirait lui transmettre son savoir. Pendant trois ans , Calixte vécut comme un vulcain dans sa grotte, tirant d’une main sur la chaîne du soufflet de forge, façonnant sur l’enclume, au rythme de son marteau rebondissant, des fers à chevaux, des lames de pioches, des binettes, tout le matériel qu’il fallait alors fournir aux agriculteurs locaux.

P.-S.

Une légende vacquièroise, signée Noirmica, publiée dans l’Hérault du Jour en juillet 2010 en 3 parties :

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