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samedi 26 mai 2012, par
C’était encore le temps de la colonisation. Autant que je sache, notre « héros » est né un vendredi 13 Août 1954 au Moyen Congo
Naître un Vendredi 13, nous diront certains optimistes, c’est la chance ad vitam aeternam mais cela peut être la déveine ajouteront les pessimistes. Allez savoir !... Notre ami, lui, ne se pose pas trop de questions. Il a bientôt 20 ans. Il est grand, beau, costaud et 2ème ligne de rugby en plus. Bref ! Un « Fanfan la Tulipe des années 1970.
Jeune pâtissier depuis peu, il décide de quitter Brive la Gaillarde pour se rendre à Prades le lez chez une parente. Il ne veut plus faire du pain industriel. Il veut démontrer ses capacités performantes d’autant qu’avant son départ son formateur lui garantit qu’il deviendra un « cador ». Pourquoi douter si un champion de la profession le dit. La belle vie, quoi !...
Nous nous étions rencontrés quelques temps auparavant chez sa grand-mère qui résidait dans la rue centrale du vieux village. Je découvrais dès lors un garçon plein de verve, enjoué quant à son nouvel employeur mais aussi par rapport à sa nouvelle vie que je percevais assez sentimentale.
- Tu cours toujours ? Tu joues au rugby dans le coin comme à Brive ?
- Parfois je vais à Montpellier mais je reste surtout dans le coin. Actuellement, c’est la pleine saison des fêtes de villages comme au temps de ta jeunesse. Ma Grand-mère m’a raconté qu’une année pour payer les musiciens, vous aviez fait un stand de tir à la tomate mûre.
- Pas trop rigolo ton truc ! Vous dansiez sur la route, m’a-t-on dit ?
Sur la petite place dès l’aurore, tout est joyeux et bruyant. Tout proche, le pic projette, sous le soleil de juillet, son ombre de géant endormi. Nous sommes à St Mathieu pour applaudir l’équipe Ramel, hélas absente. Un peu de déception, certes mais nous déambulons tels des désoeuvrés au milieu de flonflons et tubes à la mode !
Notre regard croise soudain celui de mon « héros », si j’ose dire, une brune très mignonne accrochée à son bras. A-t-il dit un mot concernant son cousin ? Sur moi ? Allez deviner ! Il me semble qu’elle nous a regardés un peu plus longuement. « Eh bien, mon garçon, tu n’as pas perdu de temps, pensai-je in petto. » . Pas mal la nana, constate, Robert, très admiratif !
Je le rencontrais quelques jours plus tard dans le village.
- Alors, toujours content de ton travail ?
« Aie, aie, aie qué lou babaou mé piquo….
Aie, aie aie que lou babaou me faou dou mal…etc, etc… »….
.et je te fais grâce des couplets grivois où une nommée Gabrielle, guérisseuse à l’occasion, nous soignait avec tous les légumes de son potager.
Une semaine, donc, avant le mariage, nous allions chez les parents de la demoiselle en présence des futurs époux bien entendu. Et là, on chantait bien sûr, mangeant mais surtout buvant pas mal. Inutile de te dire que l’aïeul sortait le « cartagène » de derrière les fagots. Tous les proprios en faisaient mais c’est cher et rare désormais !
Nous avions encore échangé quelques mots très complices et affectueux au hasard de nos rencontres mais ma permission expirant, je retournais dans mon unité aérienne à Limoges. Je ne devais plus le revoir, tout au moins ainsi…
« Sournoise, patiente, elle est toujours là « la Camarde », ainsi nommée par le poète. Elle est là, autour de nous, attendant son heure, son jour. Bref le bon moment où elle pourra nous piéger comme un pêcheur de lune. Ainsi va la vie »
« Et toi, beau baladin, tu es jeune et poursuis ton cheminement. Tu vas avoir vingt ans, pourquoi t’inquiéter ? Tu vas, viens, vaques à tes occupations mais surtout tu es amoureux… »
« Ta grand-mère nous dit que tu clames le prénom adoré à la cantonade. Tu écris des « Je t’aime » comme s’il en pleuvait. Pas Dieu possible un tel amour !... Décidément, il te faut un vélo ou une vieille mobylette pour aller à tes rendez-vous. Tu ne peux plus tout faire en courant : Aller au travail, revenir et ensuite aller voir ta « dulcinée. »
Va pour la mobylette ! Il était donc parti un jour de décembre 1974 vers Tréviers. Pour lui « Capri, c’est fini », sa chanson préférée mais ça commence aussi. La nuit tombe tôt en décembre mais il espère rentrer bien avant. Il espère, oui, mais la tendresse gourmande d’une fille qu’on serre éternise parfois le moment présent. Basta la troublante libido ! J’accélèrerai au retour, pense-t-il…
La destinée ?... Disons, la gendarmerie locale pour mieux la définir. Elle fait son travail pour lequel elle existe également. Elle ne peut pas laisser un quidam partir dans la nuit tombante avec un engin sans phare : « Trop dangereux, jeune homme ! Nous gardons la mobylette et vous viendrez demain la chercher avant la nuit bien sûr ! » Personnellement, je les comprends nos braves pandores.
« Trois kilomètres à pied, ça use, », dit la chanson mais ça ne fait pas peur à notre ami. Le voici donc marchant sur le bas-côté. L’obligation de marcher à gauche, face au danger, n’existe pas encore. Alors, par habitude nous restons à droite d’autant qu’il n’y a pas trop de circulation sur cette route. Un début de pénombre dans le ciel splendide et au loin, bien au loin dans l’espace étoilé, luit le croissant d’or.
Tout chante dans sa tête : l’amour assurément mais peut-être aussi, pense-t-il à sa famille qu’il n’a pas vu depuis les vacances. Il est jeune et fort comme tout homme à vingt ans. La joie d’aimer passionnément revient en force. C’est la période du toujours en amour…
Pas trop loin, le village du Triadou s’éclaire au crépuscule naissant. Bientôt le croisement avec la petite voie du village. Face à lui, les phares du car de la ligne Jaoul de Tréviers l’éblouissent un instant. « Pas important, il suffit de rester bien à droite, pense t-il ». Quelques ultimes pas encore puis soudain, un choc violent dans les reins. Tout culbute et tourbillonne dans le noir de l’infini. Il avait sûrement bien entendu un véhicule suiveur mais…..
« Hélas, « la Camarde » tenait sa proie en ligne de mire et, mordante comme un pit-bull, n’allait pas la lâcher." Certes, le conducteur avait bien repéré le marcheur mais, trop à droite, il avait oublié que son camion comportait un large plateau butoir sur l’arrière…. Tout au moins, je ne peux que le supposer.
« Oui, mon, gars, « Capri c’est fini « et ne sera pas la ville de tes premières amours. Tu vois, le temps qui passe n’efface jamais l’envie d’accabler d’anathèmes inquiétants la cruauté d’un instant où… tout bascule pour l’éternité !…
C’était le 23 décembre 1974 à l’embranchement du Triadou sur la D.17.
Il s’appelait Francis et venait d’avoir 20 ans depuis peu. Et… C’était mon fils.
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