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mercredi 26 mars 2003, par ,
Un bloc de calcaire trouvé dans les environs de Corconne. Témoin du passé...
Il s’agit d’un bloc calcaire dans lequel est sculpté un buste.
Ce buste est celui d’un guerrier casqué.
Sous le casque apparaissent les oreilles, le reste du visage très abîmé, ne laisse rien deviner des traits du personnage. Peut-être porte-t’il la barbe ?
Sont représentés en rond de bosse :
Ce bloc de calcaire blanc a été trouvé à l’Ouest du village de Corconne où il avait servi à la construction d’un mur de soutènement.
Il mesure environ 51 cm de haut, pour un poids de 52 kg.
Le casque est de forme hémisphérique, marqué de bandes plates, dessinées par incisions parallèles sur le calcaire.
L’une des bandes ourle le pourtour du casque.
Deux autres bandes se croisent au sommet, découpant la calotte en quatre parties.
Ces bandes indiquent un décor ou peut-être une armature.
S’il s’agit d’une armature, elle structure la calotte et assure indirectement le décor. Que le casque ait été en métal ou en cuir, elle devait permettre l’assemblage des pièces composant la calotte tout en renforçant la résistance du casque aux chocs qu’il était censé protéger.
Deux bandes en amorce sur les épaules, du même type que celles présentes sur le casque.
Elles peuvent indiquer l’existence de "bretelles" supportant un pectoral.
Elles peuvent signifier que l’homme protégeait le haut de son corps par une armure de poitrine.
Le travail du sculpteur peut laisser penser qu’il y a unité de fabrication, de matière, de décor entre l’armure et le casque, et qu’ils formaient un ensemble.
Nous avons dit le bras orné, au dessus du coude, d’un anneau rond.
Le sculpteur a choisi de nous montrer le haut du bras, ce parti pris qui évite d’avoir à traiter la main, met en relief la musculation et donc la force physique du personnage.
Le bras est associé à la poignée d’une épée. Le pommeau rond terminé en "spatule". Un seul des quillons est visible, le second a sauté avec l’angle du calcaire cassé dans un choc.
Ces deux quillons qui caractérisent la garde de cette épée, par la précision qu’ils fournissent, devraient pouvoir servir à la datation du buste.
L’importance accordée par le sculpteur au pommeau de l’épée (sa taille), la mise en valeur d’une musculation robuste du bras, peuvent aussi signifier que la dimension et le poids de l’épée sont ceux d’une arme de grande taille.
La roue est composée de deux disques concentriques accolés, ces disques d’inégales grandeur ont des diamètres qui varient du simple au double.
Il peut s’agir d’une roue pleine dont la partie centrale serait renforcée par l’adjonction d’un second élément relativement massif. Dans ce cas, le matériau utilisé serait le bois.
En surimpression sur la roue, le membre postérieur d’un cheval.
Cette association désigne un char à cheval. Char léger, à deux roues, connu par ailleurs comme distinction emblématique et fonctionnelle de la caste militaire des guerriers (conducteurs de char) et ce dans un contexte marqué par une influence culturelle Celte.
Nous savons par d’autres sources, que sur les territoires où s’exerçait une influence Celte, la société s’était organisée, au cours de la protohistoire, en fonction de la prédominance d’une caste aristocratique, celle des "Conducteurs de Char".
Plus qu’à une organisation en nation, nous devons penser ici, à une organisation en zones d’unité économique, sur des territoires plus courts, un peu à l’image de ce que connaîtra le Moyen Age avec les principautés comtales du Xe sc. Occitan.
Notre homme est donc un homme de pouvoir, un pouvoir qui s’appuie directement sur la prééminence d’une caste, caste guerrière, aristocratique, politique. C’est un chef de territoire et de population. Il assure la cohésion, la sécurité, la défense des biens et des personnes sur un terroir précis, particulier.
Le char symbolise, visualise et d’une certaine manière donne la mesure de l’étendue géographique de ses pouvoirs et de ses domaines. Il se déplace en char, plus qu’il ne combat en char.
Cet homme solide s’est imposé de telle manière que ses proches ont voulu l’honorer ; perpétuer sa mémoire, rappeler son autorité : l’image, le visage de cette autorité aussi bien que les "signes" de cette autorité. Ils ont souhaité prolonger son pouvoir dans le temps afin qu’il serve de référence. Ils ont peut-être voulu utiliser ce pouvoir au bénéfice d’une parentelle, d’une famille ou d’un successeur.
par le thème traité : un buste de guerrier
Cette sculpture se rattache au groupe (non-homogène) des représentations figurées de la protohistoire, mais par sa facture qui n’a rien à voir avec ce que nous connaissions déjà, elle se présente comme une œuvre singulière, marginale…
Influences :
Ce buste atteste une influence Celte, il suppose des influences Gréco-latines, il reflète un contexte "provincial", il porte la marque d’une région ouverte aux contacts, aux échanges…
Situation :
A l’heure actuelle, nous ne savons pas rattacher ce buste à un site archéologique connu. Pour employer une expression triviale : il est un peu perdu dans la nature. Cela ne saurait signifier qu’il n’est pas lié au terroir sur lequel il a été trouvé. Il doit d’une manière ou d’une autre se trouver en relation avec les deux grands axes de circulation qui se croisent, dès la préhistoire au pied du village de Corconne.
On est en présence d’un buste votif qui célèbre l’autorité, le pouvoir, la réputation d’un homme connu, important.
Il y a de fortes chances que cette sculpture ait appartenu à un ensemble, stèle funéraire, tombeau où elle aurait pu être adossée.
Le calcaire utilisé est tiré de la région proche. Même si elle reste schématique, la facture est bonne, soignée. Le savoir-faire de l’artisan, en particulier l’utilisation des flancs droit et gauche, révèlent une maîtrise technique certaine.
Au regard des autres sculptures indigènes connues en Languedoc oriental vers la même période, ce buste demeure au plan du travail et de la présentation une œuvre originale, un témoignage précieux.
La rareté de ce type de représentation sur l’ensemble du Languedoc oriental peut laisser penser qu’elle répondait à une nécessité particulière que nous pressentons comme étant plus politique militaire.
L’homme et son pouvoir sont célébrés et non "héroïsés".
L’usage d’une symbolique, d’une représentation des "signes" du pouvoir… La facture de l’œuvre, l’utilisation du rond de bosse excluent (pour partie) le pathétique. Il s’agit davantage de l’affirmation d’un pouvoir et de son image que de sa justification.
S’il y a lieu de donner une interprétation à ce buste, de dégager par delà l’aspect anecdotique les autres significations qu’il implique, il faut alors dire combien il ramène notre analyse vers le monde méditerranéen, combien ce qui est dit ici tend à identifier le pouvoir d’un homme de ce pays, à l’image (vue ou entrevue) du pouvoir des "chefs" du monde gréco-romain.
Cette identification peut développer deux discours différents :
Nous savons qu’il appartient à la protohistoire et qu’il suppose établies des relations avec le monde gréco-romain. Nous sommes donc entre - 600 et - 200 ans avant J.C.
Le pommeau de l’épée pourrait être celui d’une arme étrangère (prise de guerre, objet de troc, don ou tout autre hypothèse). Tout laisse à penser que ce n’est pas une arme de fabrication celte, mais que dire de plus précis ?
Nous sommes plusieurs siècles avant l’arrivée des Romains.
A partir de Marseille (fondée par les Grecs en - 600 avant J.C.), la région s’ouvre au commerce, ouverture naturelle vers le Sud (port de Lattes) à la quelle va répondre une poussée venue du Nord-Est. Cette poussée s’inscrit en clair sur des sites de référence comme l’oppidum d’Ensérune. Il est alors possible de parler d’une réelle influence Celte. Le buste du guerrier de Corconne témoigne très directement de ce contexte, de cette présence.
Cette "celtisation" ne gomme pas la culture autochtone : l’habitat traditionnel, les modes de vie, le savoir-faire n’en sont pas affectés ; pourtant une évolution se produit…
L’utilisation du cheval (monté ou attelé) reflète une mobilité, une dynamique qui éclairent le contexte socio-économique :
Dessins : Stéphane Gantés
Conte inspiré du guerrier : le chef