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dimanche 14 août 2005, par
Une exploitation minière médiévale des XII-XIVe siècle, près de Montpellier
Toutes les structures reconnues sont puissamment bâties, et caractérisées par d’épais murs à double parement soigneusement assisés et liés au mortier de chaux. D’après la répartition topographique des bâtiments, on peut considérer trois ensembles. D’une part, le groupe central, en bordure de plateau, s’organise autour de la plus visible des deux tours présentes sur le site (tour 1 et P5). D’autre part, le deuxième ensemble est installé en contrebas, dans la pente, à l’est du précédent (P1, 2, 3 et 4). Enfin, à l’ouest, une tour isolée (tour 2) se détache au sommet de la colline.
Situé en un point élevé du site, il comprend un ensemble de murs assez mal conservés qui sont distribués autour d’un élément prééminent, la tour 1. Les murs reconnus délimitent au moins quatre espaces différents. De la tour 1, de plan quadrangulaire et incomplet, ne subsiste qu’un angle dont les murs est et nord mesurent respectivement 0,85 et 0,93 m d’épaisseur et s’élèvent encore de 6 à 8 m (fig.3). A côté, gît un énorme pan de la construction, effondré depuis peu, semble-t-il.
Sur le parement interne du mur nord se repèrent les cavités de réception des poutres des planchers qui révèlent l’existence de deux étages au moins. La porte de la tour, dont un piédroit est conservé, s’ouvrait au rez-de-chaussée face à la pente ; sur le parement interne du même mur, on observe également une niche murale située au deuxième étage. Les traces perceptibles au sol, au milieu des blocs entourant la tour, semblent montrer que celle-ci pouvait être indépendante des autres constructions.
Sur une strate rocheuse plane, à deux ou trois mètres en contrebas, et en bordure d’un à-pic, est installé l’angle d’une construction de fonction non interprétée (C du plan). A peu de distance, un pan de mur nord-sud, est visible au milieu des ruines effondrées dans la pente. Au sud de ces structures, on trouve le seul espace complètement interprétable du secteur, c’est une pièce rectangulaire (P5) dont le mur du côté de la pente est conservé sur 3 m de hauteur environ. La presque totalité de l’espace intérieur est comblée de pierres, à l’exclusion du côté ouest où affleure le substrat rocheux. Compte tenu du fort pendage de ce dernier, d’ouest en est, il est possible que le sol intérieur de la pièce ait été planchéié, la partie basse, à l’est, ayant pu être utilisée comme cave. Dans ce cas, la porte d’accès devrait être localisée dans le mur ouest. Dans le prolongement de cette pièce, au sud de la tour, un mur de pierres sèches limitait un espace extérieur où un dépotoir, étalé à même le rocher, a été reconnu. Il s’agit probablement d’une cour attenante à la pièce 5 et à la tour. Dans ce même secteur, on note la présence d’une forte butte d’argile et de cailloutis qui ne peuvent être d’origine naturelle et qui peuvent masquer des vestiges bâtis ou une installation technique en rapport avec l’exploitation du minerai.
En ce qui concerne les toitures des différents bâtiments on est assuré qu’elles étaient couvertes de tuiles rondes de forte épaisseur, ces dernières étant omniprésentes aux abords de la tour, et très abondantes, à l’intérieur même, dans les déblais d’un sondage anciennement ouvert.
Ce groupe de bâtiments occupe d’abord une position centrale dans l’étendue du site, il est en même temps dominateur par rapport aux autres constructions et aux unités d’exploitation minière, enfin, autant qu’on puisse en juger, il apparaît isolé des autres corps bâtis. On doit donc lui reconnaître une fonction prééminente dans le cadre de l’établissement. Une certaine vocation défensive est bien sûr reconnaissable dans l’existence même d’une tour, mais il nous semble que ce serait surtout une fonction d’habitat qui pourrait être reconnue ici sous la forme d’un donjon et de constructions annexes. Cet habitat serait à interpréter comme la résidence du "maître des lieux", qu’il s’agisse d’un seigneur local, d’un représentant d’une des puissances féodales dominantes ou d’un propriétaire d’un certain niveau dans la hiérarchie sociale.
Il s’agit de l’ensemble le mieux conservé ; ses différentes cellules s’individualisent facilement à une dizaine de mètres en contrebas du groupe central et s’étagent sur trois niveaux.
La construction la plus basse (P1) est constituée de trois murs peu épais (0,60 à 0,65 m) qui s’appuient sur l’ancien mur de façade de la pièce 2 dont l’épaisseur est plus importante (0,85 m). La pièce rectangulaire, d’une surface d’environ 50 m2, comportait un étage matérialisé par un rang de cavités de réception des poutres ; elle venait donc condamner les meurtrières qui s’ouvraient dans la façade primitive. Elle se détache des autres constructions et se trouve en relation directe avec un replat de circulation aménagé à mi-hauteur d’un cône de déblais de carrière. Au-dessus de la précédente, la pièce 2, plus petite, ne couvre que 45 m2 environ [1]. On est tenté, de par leur situation, d’attribuer à ces deux pièces une vocation technique d’étable, d’écurie, de réserve ou d’atelier pour l’outillage d’exploitation.
Les pièces 3 et 4 sont juxtaposées dans un autre corps de bâtiment dont le mur situé du côté de la pente est conservé sur 3 à 4 m de hauteur. On retrouve avec lui la même épaisseur de 0,85 m que pour la façade de la pièce 2, et le même type de construction. Le mur latéral nord est d’épaisseur identique tandis que celui du sud est légèrement moins épais (0,76 m). La pièce 3 couvre une surface de 23 m2 et pourrait être interprétée comme pièce d’habitation : elle comporte en effet une petite meurtrière, source de lumière également, encadrée de deux niches encastrées dans son mur de façade. Elle communiquait par une porte d’angle avec la terrasse inférieure par l’intermédiaire d’un possible escalier masqué sous les ruines. En symétrique elle communiquait aussi, par une autre porte, ultérieurement bouchée, avec une terrasse en contre-haut qui semblait dépourvue de constructions. La seconde pièce, presque carrée, représente une sorte de réduit de 14 m2 qui n’était accessible qu’à partir de la salle précédente [2].
Sous ce bâtiment se reconnaît une cour qui était bordée du côté de la pente par un puissant mur de pierre sèche constitué de blocs volumineux ; ce mur fait office simultanément de paroi de soutènement et de mur d’enclos en raison d’une élévation au-dessus du sol. C’est en dessous de ce secteur d’habitat sud que deux zones de dépotoir (Dl et 2) ont été repérées au milieu des affleurements rocheux en gradins.
Cette dernière construction est complètement détachée des autres dont elle est séparée par une cinquantaine de mètres de terrain naturel, rocheux et lapiazé, ne montrant aucune trace de construction, ni même de fragments de tuiles. Sa position semble devoir s’expliquer par la recherche du point le plus élevé du plateau et peut-être aussi par la surveillance possible de la tranchée d’exploitation du minerai à ciel ouvert au milieu de laquelle elle se trouve et qui, vers l’ouest, se repère à une distance de 18 m.
L’édifice est fort ruiné [3] ; il n’en reste qu’un angle qui présente encore une élévation de 2 m environ et qui a la même orientation que la tour principale. La morphologie des murs est identique à celle des constructions déjà décrites. Les deux murs conservés sur 4 à 5 m de longueur, ainsi que la restitution approximative d’un troisième, vers le nord, sous un important amas de blocs effondrés, permettent la reconnaissance vraisemblable d’une tour isolée, de plan approximativement carré et de 6 à 8 m de côtés. Cette interprétation est confortée par la puissance des murs qui sont épais de 1,02 m au sud et 1,25 m environ à l’ouest. Un mur de même cons¬titution mais d’épaisseur plus modeste (0,75 m) est venu s’appuyer sur la construction initiale vers le sud.
Dans un premier temps nous avons considéré cette construction comme un élément faisant partie intégrante de l’établissement, élément qui aurait pu être destiné à une surveillance permanente des ouvriers au cours de la phase d’exploitation du minerai en tranchée sur le plateau, tout en fonctionnant comme système de surveillance du territoire environnant. Aujourd’hui nous penchons pour une interprétation différente après avoir reconnu, entre temps, dans la même région montpelliéraine, d’autres tours de dimensions et de techniques voisines semblant toutes se rapporter à un vaste système de surveillance du territoire [4]. Ces structures sont tantôt isolées, tantôt rapprochées d’un habitat médiéval, tout en en restant séparées, comme ici. La tour 2 de Cairol pourrait ainsi représenter une tour de vigie commandée par une puissante entité politique à laquelle le possédant local aurait été redevable.
Avec l’aimable autorisation de Pierre-Yves Genty. Dactylographie : Sylvie Rouquette.
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[1] En largeur interne, les pièces 1 et 2 mesurent respectivement, 4,03 m et 3,72 m ; la longueur, la même pour les deux pièces, ne peut qu’être connue approximativement et mesure 12 m, à plus ou moins 0,20 m.
[2] Nous regroupons ici les mesures importantes de ce secteur bâti :
[3] Le four à chaux qui se trouve sur place, est un four primitif "à cuisson intermittente et à longue flamme", il se présente comme une couronne annulaire en relief avec une échancrure correspondant à la bouche d’alimentation en combustible. II n’est sûrement pas étranger à l’état de conservation actuel de la tour 2, dont les blocs ont du servir à la cuisson de la chaux après démantèlement de la construction. La blocaille présente au sol en un tas volumineux correspondrait aux décombres peu intéressants à cuire. Le genre de four présent reste typologiquement difficile à dater, mais est très souvent moderne ou contemporain.
[4] Cette proposition d’interprétation n’est pas gratuite ; elle repose sur une analyse soignée et inédite (rapport de prospection 1994) de 7 de ces tours et de leur environnement archéologique. Elle est étayée par l’analyse de la carte de Cassini qui montre une véritable chaîne de 12 ou 13 tours, selon un axe nord-sud, axe qui se développe en limite ouest des plaines du Montpelliérais et se raccorde à la crête du Pic St-Loup, support du château de Montferrand ; vue sous un autre angle, cette chaîne est installée à la bordure du vaste massif de garrigues s’étalant de l’Hérault aux abords de Montpellier.